Déchirure

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Je me souviens encore de la sensation de ses doigts contre mon cou quand il m'a offert ce bijou.

Accompagné de délicieux frissons, il aimait s'amuser à frôler ma peau nue pour enclencher le fermoir. Son index désireux glissait lentement de ma nuque jusqu'au creux de mes omoplates. Chaque centimètre parcouru brûlait ma peau d'une blessure exquise. Longeant ma colonne vertébrale, caressant mes fossettes sacro-iliaques pour finalement dessiner la courbure de mes hanches et remonter vers ma taille. Il laissait derrière son tracé un long chemin ardant. Un sentiment chaud naissait en bas de mon ventre et étirait mes lèvres. Je me sentais vivante, heureuse, puissante.

Son souffle contre mon oreille, ses murmures que moi seule entendais, mes gloussements, sa voix. Il était tout pour moi. Et j'étais tout pour lui.

Ce collier était le symbole de son amour. Notre amour. Il avait choisi un pendentif en forme d'étoile forgé dans un acier aussi pur et clair que la neige. Il savait qui j'étais et je savais qui il était. Il n'avait pas peur. Je ne le craignais pas.

Mais pas ses parents.

Le jour où ils découvrirent notre liaison, il fut châtié, dépouillé et tué par son propre sang. Homme vertueux, Fils prodige, Prince adoré, futur Roi. Sa perte enclencha des rouages encore invisibles aux yeux de tous.

Des questions s'élevaient dans les cieux, des interrogations sans réponses, des idéologies incomprises, des envies avant-gardistes. L'histoire fût divisée, ébruitée avec déformation de la vérité. Certains la comprirent, d'autre suivirent simplement les ordres.


Aujourd'hui encore, mes doigts continuent de tracer les sillons que les siens ont gravé dans ma peau. Je peux presque voir chaque ligne, chaque trait, chaque courbe, chaque baiser. J'ai toujours le goût de ses lèvres sur les miennes, de son souffle contre ma peau.

En haut de la colline qui se tient à l'écart de notre village, je regarde le royaume de mon bien-aimé défunt. La nuit rend presque paisible cet instant. La paix ne sera bientôt plus qu'un souvenir.

Les larmes inondent ma peau, mon corps, comme un raz-de-marée.

Je ferme les yeux et me laisse submerger par ma tristesse, ma rage, mes émotions encore jusque-là enfouies, oubliées et maitrisées. Le bruit d'une chaîne tombant à terre s'élève, un verrou qui se déverrouille, une porte qui s'ouvre, un verre qui se brise.

La température commence à baisser, le vent se réveille au rythme de mes battements de cœur. Mes cheveux fouettent mon visage et s'engouffrent dans ma bouche.

Une douleur sourde naît de mon cœur, se propage dans ma poitrine, descend vers mon ventre puis remonte dans ma gorge.

Au moment où je crie pour la vomir, un éclair illumine à travers mes paupières, secondé par le tonnerre qui gronde quelques instants plus tard. Quand je rouvre les yeux, une pluie s'abat sur le vaste territoire. Un second javelot de lumière brise le ciel et le tonnerre rugit plus vite, plus proche, plus fort. Le ciel paraît plus noir. Le passage de la foudre semble presque laisser place à une ouverture dans le néant, là où nos Dieux et nos Créatures sommeillent.

Mon cœur s'accélère jusqu'à menacer de rompre mes côtes, la douleur s'accentue et embrase mon corps, la fréquence est insoutenable.

Qui brise le cœur d'une sorcière maudit sa chair.

Qui brise un couple amoureux maudit les cieux.

Qui brise le présent est maudit par le Léviathan.

Tel un leitmotiv, ces phrases germées de ma pensée s'échappent de mes lèvres. D'abord dans un murmure, ma voix s'intensifie et résonne dans la tempête. Les paroles s'immiscent dans le crâne de mes compagnons, des paysans, des nobles. Du Roi et de la Reine.

Nous vouons nos vies à servir, protéger et prier notre Maître. Mais quand notre vie ne vaut plus la peine d'être vécue, quand nous sommes brisés par de simples mortels, Il ne peut laisser souffrir ses disciples.

Alors il ne reste plus qu'une option.

L'Insurrection.

De maux et de l'êtreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant