Être infirmière

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12/05/2020


Être infirmière, c'est faire des batailles d'eau avec ton collègue avec des pipettes de sérum physiologique jusqu'à foutre en l'air des papiers importants. C'est préparer des seringues avec de la bétadine, un produit de lavement et des vitamines qui empestent pour bizuter ta collègue quand il s'agit de son dernier jour dans le service. C'est demander à ton patient s'il a fait « caca » ou s'il a « pété », au moins trois par jour, car malgré tout, ce sont des signes importants d'un bon fonctionnement interne. C'est faire les mélanges les plus improbables pour que ton patient aime le gout d'un médicament ou que le laxatif fasse effet alors que toi-même tu es constipée depuis plusieurs jours.

Être infirmière, c'est faire rire ton patient quand tu as envie de pleurer. C'est rassurer ton patient quand toi-même, tu ne sais pas la suite de sa prise en charge. C'est lui demander s'il peut te faire une place dans son lit pour que tu fasses la sieste et qu'il te réponde oui.

Être infirmière, c'est voir qu'une patiente a le même âge que toi et qu'elle en est à sa troisième opération pour enlever sa deuxième tumeur.

Être infirmière, c'est regarder ton patient enroulé dans son drap répondre gaiement à l'aide-soignante qu'il veut un croissant et un pain au chocolat au petit-déjeuner alors qu'il parle à moitié français et qu'il lui manque des dents. C'est suivre ton patient tout au long de la journée, lui faire un soin et voir vers la fin de la journée qu'il n'est plus algique. C'est entendre vers 12h30 ton patient tousser puis le voir sortir dans le couloir et te regarder avec des yeux exorbités.

Être infirmière, c'est mettre en pratique tout ce qu'on t'a appris. C'est faire la méthode d'Heimlich ou taper dans le dos de ton patient car il s'étouffe avec un aliment. C'est être incapable de faire plus fort et d'oser demander de l'aide à ton collègue. C'est crier dans le couloir le prénom de l'interne à qui tu caresses habituellement les cheveux car c'est amusant de le faire. C'est le voir courir vers toi et prendre le relais pour t'aider. C'est le voir s'effondrer avec toi et le patient car ce dernier ne respire plus et qu'il s'évanouit.

Être infirmière, c'est alerter tes collègues et les laisser prendre le relais quand tu ne sais plus quoi faire. C'est voir ton patient être allongé sur le lit, le visage violet, car il suffoque et que son corps manque d'oxygène. C'est voir tes collègues infirmiers amener le chariot d'urgence et s'activer alors que tu ne sais pas quoi faire. Car tu ne l'as jamais fait. Car tes cours théoriques ont besoin de pratique. Car ça ne fait que six mois que tu es infirmière.

Être infirmière, c'est faire un massage cardiaque à briser la cage thoracique de ton patient et à t'en faire mal aux bras. C'est voir quinze soignants débouler dans la chambre car c'est une urgence vitale. C'est entendre annoncer que ton patient fait un arrêt cardiorespiratoire. C'est laisser la place au médecin pour prendre la suite. C'est voir ta collègue trembler quand elle met une aiguille dans une poche à perfusion pour remplir une seringue, alors qu'il s'agit d'un geste que nous réalisons vingt fois par jour.

Être infirmière, c'est sauver ensemble la vie de ton patient avec des soignants que tu ne connais pas. C'est sortir de la chambre en te disant que tu as été inutile, car tu ne savais pas quoi faire. Comment faire et ce que tu aurais fait sans tes collègues. C'est pleurer dans les bras de l'interne pendant de longues minutes car le soulagement et plein d'autres émotions craquent en même temps. C'est oublier qu'il faut rester à un mètre de distance car tu as besoin d'un bras autour de toi pour te soutenir. C'est recevoir de la part des autres soignants, des médecins plus haut placés et des chirurgiens un « bon travail ». Entendre « sans toi, si tu n'avais pas été là, personne n'aurait pu alerter. Tu as bien agi » alors que tu pensais n'avoir rien fait.

Être infirmière, c'est pleurer avec ta collègue qui tremblait, l'étudiante qui n'est là que depuis trois jours et tout le monde, pour que la pression s'évacue. C'est entendre les moqueries d'un autre infirmier en mimant celle qui tremblait pour avoir un fou rire tous ensemble.

Être infirmière, c'est sourire et pleurer ensemble. C'est souffrir et vivre ensemble. C'est vivre pour soi. C'est vivre pour l'autre. C'est se rendre compte à quel point la vie d'une personne est entre tes mains. C'est réaliser qu'elle peut s'arrêter très vite. Comme reprendre très vite. C'est se rendre compte qu'il ne s'agit pas que de nous tout seul mais de plein d'autre soignant aux titres ridiculement long.

Être infirmière, même si je suis encore faible, sous le choc et inexpérimentée, c'est ce que j'adore faire.

De maux et de l'êtreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant