De maux et de l'être

Le calme avant la tempête

— Tu peux regarder, chuchote Lysandre, son souffle contre mon cou, quand il retire le bandeau qui me cache la vue.

J'ouvre les yeux et ma respiration se coupe devant le paysage qui s'offre à moi.

De grands arbres entourent uniformément une petite maison. Hauts dans le ciel, les plus basses branches viennent chatouiller trois des quatre côtés de la bâtisse. Son dernier flanc est une immense véranda baignée par un faisceau de soleil perçant à travers les feuilles de la forêt. C'est comme si la lumière se frayait un chemin et que la verdure s'en écartait pour pouvoir illuminer l'endroit. Alors que des brindilles chatoient les autres murs, la véranda semble intouchable d'impureté.

On se croirait dans un conte de fée. Et vu ce qu'il m'arrive dernièrement, je pourrais bien commencer à croire en tout ce que je pensais fictif.

— Souhaites-tu toujours écouter ma musique ? me demande-t-il avec sérieux.

Je hoche la tête, incapable de prononcer un mot. Il se dirige vers la porte d'entrée puis se retourne quand le cran du verrou se fait entendre. Son visage s'étire en un doux sourire que je ne lui connais pas et qui fait palpiter mon cœur.

— Cela fait un moment que je veux t'emmener ici.

Il me prend la main avec aisance et m'emmène jusqu'à ladite pièce. J'explore rapidement l'endroit des yeux mais le piano blanc à queue qui trône en son centre m'hypnotise.

L'homme aux cheveux corbeaux me lâche les doigts et s'assoit sur la banquette, marquant un contraste avec l'aspect immaculé de l'endroit. Il pose ses longues phalanges sur les touches et un monde explose devant mes yeux. Le savoir de la musique lui a été donné. Les prunelles fermées, il compose à partir de ses sentiments.

Une mélodie magnifique et mélancolique remplit la pièce. Mille et un frissons traversent ma peau. Peut-être dus aux notes. Peut-être dus aux filets glacés que Lysandre fait apparaitre autour de moi. Je me laisse émerveiller par la pureté de chaque fleur qui éclot dans les airs, sous la fine particule de glace.

Après quelques secondes, un bourgeon perd un à un ses pétales pour qu'un Phénix de glace apparaisse en son centre. Majestueux et bestial, il ressemble en tout point à son détenteur.

Il se transforme ensuite en une rose qui vient se placer devant mes yeux. Je mets mes mains en coupe pour la recueillir. Au moment où elle touche ma peau sur une note grave, une vague de tristesse m'ébranle.

Je jette un regard à Lysandre qui est toujours concentré, les yeux fermés et les sourcils froncés. Use-t-il de ses pouvoirs consciemment à cet instant ?

Je n'ose dire quelque chose, de peur de briser cette musique qui transporte ses émotions refoulées. Mes larmes coulent, celles qu'il n'a jamais versées. Les notes semblent mourir avant de repartir de plus belle, l'air devenant plus chaleureux.

Il ouvre les yeux et ancre ses prunelles couleurs bleue et or dans les miennes. Son visage est impassible, comme s'il attendait un quelconque signe de ma part. Quand il fait résonner la note la plus aigüe, je fais exploser mon pouvoir. Chacun de ses flocons disparait pour faire apparaitre une multitude de points de chaleur illuminant autour de nous. L'ambiance devient presque féérique, les sources de feu semblable à des lucioles.

Je crée une rose de feu que je lui envoie devant les yeux, en suspension. Il lâche un souffle glacé et la fait disparaitre avec amusement.

Il referme une dernière fois son regard alors que la musique est à son paroxysme. C'est bientôt la fin.

Quand il joue les dernières notes, je comprends qu'il vient de me raconter sa vie. Au début froide et douloureuse, il voulait mourir avant d'être sauvé et de ressentir à nouveau la chaleur.

Cet étiquetage comme quoi le Phénix de glace doit forcément tout détruire et être sous la coupe de Neram n'est pas inéluctable. Il cherche à montrer à tous qu'il y parviendra. Comme je parviendrais à protéger cette planète.

Nous y arriverons tous les deux, ensemble. À n'importe quel prix. Peu importe le passé. Sacrifiant notre avenir.

Enfin, c'est ce que je croyais.

Et ce qu'il avait voulu croire.