6. Les sensations

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   Samedi soir, ma mère m'emmène à l'Opéra. Je suis très contente d'aller voir des ballerines, mais c'est vrai que j'aurais préféré rester au chaud à la maison avec un chocolat et une couverture. Ou sortir avec des amis. Mais bon, c'est bien de varier aussi. Je ne suis pas fan de tout ce qui est théâtre, cinéma, concerts ou encore spectacles divers. Je suis simplement ma mère pour lui faire plaisir quand elle veut m'y emmener. Je fais cela depuis toute petite. Aujourd'hui, à vingt ans, ça paraît peut-être plus bête, mais sans cela je perds un lien avec elle. C'est vraiment un moyen de continuer à la voir, depuis que j'ai emménagé seule dans une autre ville tandis qu'elle est restée à Paris. 

   Enfin bon, aller à l'Opéra, ça me semble quand même être d'une autre époque. Je n'ai pas franchement envie de m'y rendre. Je pourrais prétexter que je suis malade..?
Non, allez, faisons un sacrifice pour maman. C'est la moindre des choses.

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   C'est l'heure. Je dois me rendre à l'ultime cours du matin, puis à l'ultime répétition, et enfin présenter le résultat de trois mois de travail ce soir. J'ai très peur. J'ai peur de briser mes efforts pour arriver jusqu'ici, j'ai peur de rater, peur de me ridiculiser, de tomber, de me blesser. Jusque là tour s'est bien passé, mais n'est-ce pas signe qu'il est temps que la catastrophe arrive ? Certains appellent ça le "karma". Une force surnaturelle qui guide toute personne ayant fait du mal à s'en repentir un jour. Et personnellement, je n'ai pas le souvenir d'avoir payé pour les bêtises que j'ai pu faire étant enfant. 

 « Relax, Mathilde »

    Je reconnais dans mon dos la voix de ma sœur. J'étais si perdue dans mes pensées que j'en fis presque tomber me boîte d'épingles. J'étais en train de me coiffer, comme un automate qui répète les mêmes gestes chaque matin pour obtenir le même chignon brun. Je souffle, à demi d'exaspération, à demi pour me relaxer, comme sur son conseil. Elle pose sa main sur l'épaule et nos regards se croisent dans la glace.

 « Tu vas être superbe », m'assure-t-elle.

   Je souris en baissant les yeux. Mon petit cœur bat encore à mille à l'heure, comme après un exercice éprouvant.

   La matinée se déroule sans accro. J'ai plus ou moins oublié mes pensées de tout-à-l'heure pour me concentrer à cent pour cent sur mes mouvements. Il faut montrer à mes coaches que je maîtrise sur le bout des doigt le moindre mouvement de mon corps, de mes jambes, de mes pieds, mes ports de bras, ports de tête, même là où va mon regard, et le tout, bien sûr, en adaptant théâtralement les expressions de mon visage.

« Souris ! »

 « Là, aie l'air triste ! »

 « Non, enfin ! Montre une vrai colère ! Là, on dirait un enfant qui fait un caprice. »

   D'habitude, je ne prends pas mal qu'on me fasse de telles remarques. Évidemment, c'est simplement dans le but de m'améliorer. Mais aujourd'hui, ça paraît plus incisif, parce que ce soir, il n'y aura pas que trois ou quatre personnes pour observer ce que je fais, mais des milliers de spectateurs. Je me donne à fond toute la journée. Je danse, je transpire, je bouge comme une machine, chacun de mes muscles crie victoire au moindre mouvement à cause du stress. Les pointes m'assassinent les pieds et mes chevilles ne se sont jamais autant étirées.

   Ah, la vie de danseuse !

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   Il est temps de partir. Je me dis que si je passe un mauvais moment, au moins j'aurais eu un peu de temps juste pour le plaisir de mes yeux en voyant des athlètes en collant. Enfin, surtout des filles. Je suis sûre désormais de mon orientation car je n'ai vraiment aimé qu'une fille dans ma vie. C'était une de mes amies, celle qui voulait devenir danseuse. Ça me fait d'ailleurs penser à elle.

   Je prends le métro. Ticket. Escaliers. Train. Rue. Maman. Ça me fait quelque chose aujourd'hui, je ne l'ai pas vue depuis deux mois. Mais il faut dire que je n'ai pas vraiment eu le choix.

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   Je suis maquillée à outrance, costumée à outrance, mince à outrance, mais le tout sous autant de lumière paraît toujours naturel. La scène n'est pas un espace comme les autres. C'est un lieu extravagant, même lorsque le spectacle y est sobre au possible. Je m'y sens comme chez moi. C'est bizarre, mais c'est vrai. Aucune sensation n'égale celle de l'adrénaline qui nous emplit à l'heure de dépasser le rideau. En une fraction de seconde, on n'est plus soi-même.
   Je n'ai pas peur d'entrer en scène. J'ai peur après. Après mon passage seulement, les gens se sont fait une opinion sur moi, ont passé un bon ou mauvais moment, m'ont trouvée belle ou m'ont jugée insuffisante. Je secoue mes pieds. Je regarde mar terre. Je me tourne vers la lumière. Et je pars. Je ne suis plus moi même. Je quitte la vraie vie, les sensations m'envahissent, je danse comme si ma vie en dépendait.

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   Je n'y crois pas ! Je l'ai reconnue ! Mon cœur sous cette pression devait battre autant que le sien sous l'effort. Je n'ai pensé qu'à cela toute la soirée et n'ai rien retenu du ballet. Son éloignement ne m'a pas empêchée de la reconnaître.







Bon je n'ai pas le temps d'écrire la suite. Je vous laisse là dessus mais je me dis que c'est mieux de publier ça que de vous faire encore attendre ! Bisou.

Lesbian one-shotsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant