Cɪɢᴀʀᴇᴛᴛᴇ Dᴀʏᴅʀᴇᴀᴍ

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C'est un banc placé au milieu des feuilles oranges, brunes, rouges. Allongé. Je sens chaque brise qui passe au-dessus et en-dessous de moi. J'entends chaque feuille qui s'envole et me laisse toute un peu plus seul. Je navigue au milieu de cet océan de feuilles d'automne. Le bras tendu vers elles. Le vent qui me rend frileux. L'arbre qui se dénude face à moi. Cachant les quelques rayons de soleil qui se font réservés et timides. Je ferme parfois les yeux. Je les ouvre. Un petit froid m'enveloppe comme dans un cocon. Quelques regards s'égarent. Indifférents des uns et des autres. Un peu de peine. Un peu de tristesse. Un sourire d'excuse. Pourquoi ? Lorsque j'ouvre les yeux, je sais qu'ils se font tous une petite idée de ce que peut être ma vie. Je referme les yeux. J'écoute l'automne. J'attends l'hiver. Je rêve de la douceur du printemps. Je désire l'été. Et c'est là que tout s'arrêtera.

Dans ma main droite, une amie proche. Légère. Quelques milligrammes. Peut-être neuf-cents, peut-être plus, ou moins. Blanche. Orange. Elle roule dans le creux de ma main. Me chatouille la peau. Je la reprends au bout des doigts. Index et majeur la tiennent. Elle glisse avec la brise, tombe au sol, s'éloigne de moi.

Je n'ai jamais fumé auparavant. Dans ma poche de veste en jean, j'ai en ma possession un paquet qui ne compte plus que dix-neuf clopes. Vingt moins celle qui vient de tomber. Je connais la forme, la masse, l'odeur par cœur. Quotidiennement, je viens m'allonger sur ce banc sous l'arbre qui se dénude en automne, se révèle en hiver, éclot au printemps, parade en été. Au milieu de chaque brise différente à chaque saison. Quotidiennement, je prends une cigarette de mon seul paquet et je la garde dans ma main droite. La cigarette n'a plus de mystère pour moi, si ce n'est celui de son goût. Sa saveur est comme un secret interdit. Un fruit défendu. Je n'ai pas le droit de connaître le charme de cette tueuse. Je pourrais fumer. Je ne le fais pas.

Pourquoi je ne fume pas ? J'ai des doutes. Je suis imprégné de doutes depuis toujours. Ça craint. Mais c'est la conséquence d'une grande solitude. Je ne la fume pas parce qu'elle me fait peur. Les cigarettes contiennent environ quatre-milles composés chimiques tels que la nicotine, l'acétone, le monoxyde de carbone, l'ammoniac, l'arsenic, un peu de mercure, du plomb, et quelques goudrons. Il y en a d'autres. Et parmi eux plus d'une cinquantaine sont cancérigènes. Sans oublier que la combustion du tabac produit des fumées nocives pour la santé. Donc, oui, j'ai peur de fumer mes clopes. Néanmoins, l'envie ne part pas. Ce n'est pas une question de style, je n'ai personne à impressionner. Ce n'est pas comme si on me poussait à faire quoi que ce soit. C'est cette simple envie. Ma mère est totalement contre. Elle en ferait toute une affaire si elle me voyait avec ce démon dans la main.

Je prends la dix-neuvième, laissant traîner la vingtième loin de moi. J'aimerais la fumer. Je la pose entre mes lèvres. Peut-être qu'un jour j'arriverai à trouver le courage de prendre un briquet avec moi. Le jour de ma mort. Quelques minutes avant. Ma mère ne refusera pas ce jour-là. Elle sera là. Elle l'a toujours été. Elle a été la seule et je sais combien cela a été dur pour elle. Elle m'aime, je n'en doute pas. Mais je sais qu'elle sera libre quand je ne serai plus là. J'ai parfois hâte de voir ce jour venir pour qu'elle soit enfin heureuse. Elle le mérite. Je ne suis pas un gamin facile. Ma mère sourit toujours. Un sourire si fatigué. Des traits figés dans le temps depuis plus de six ans. Elle travaille tellement dur. Sans relâche. Je ne veux plus la voir aussi malheureuse à cause de ma simple présence. Cette cigarette pourrait l'aider. Cette cigarette pourrait être une fin heureuse.

Elle vient de s'envoler à son tour.

Je la regarde s'éloigner un peu de moi avant de m'asseoir et de décider de la rattraper à temps, contrairement à la précédente. Je souffle doucement dessus. Je me redresse sans mouvement brusque avant de la mettre dans ma poche et d'en prendre une autre dans mon paquet qui se retrouve de nouveau dans ma veste. La clope entre mes lèvres s'humidifie un peu. Je ferme les yeux. J'entends un petit "clic" si près de moi et ouvre les yeux, surpris par ce son peu naturel. Une main se tient juste face à mon visage. Un briquet sous mes yeux. Une flamme qui se rapproche dangereusement de la cigarette entre mes lèvres. Mon cœur accélère dangereusement et j'écarte le danger en frappant dans la main qui tenait le briquet. Ce-dernier est envoyé au sol un peu plus loin, au pied du banc.

I ʟᴏsᴛ sᴏᴍᴇᴛʜɪɴɢOù les histoires vivent. Découvrez maintenant