Heamhynn & Persephone, ou la vengeance de Kore

II - Son Nom N'Est Pas Vraiment Kore

À peine a-t-elle quitté le commissariat, elle se dirige à pas lents vers son appartement. Depuis combien de temps n'a-t-elle pas mangé ? Cette simple pensée retourne ses entrailles. Elle devra essayer quand même si elle ne veut pas s'évanouir.

La porte se referma derrière elle. Elle trébucha hasardeusement jusqu'à son canapé et se laissa tomber sur ses coussins. Elle était épuisée; elle était affamée. Ses yeux se fermaient de leur propre volonté. Ses bras et ses jambes pendaient hors du canapé comme ceux d'une poupée désarticulée. Elle inspira profondément et se força à se lever.

Elle saccagea un avocat avec un couteau émoussé et le jeta dans son blender. L'électroménager hurla trop fort pour que ce soit supportable. Chaque fois qu'elle tentait de faire un smoothie, le son était plus fort.  Elle versa le contenu dans un verre et le contempla longuement. Son reflet verdâtre et déformé semblait lui sourire. Moins un sourire qu'une torsion des lèvres parodiant un rictus satisfait.

Elle soupira et vida son verre cul-sec. Le gout de cendre envahit toute sa bouche, s'insinuant entre ses lèvres, sous sa langue, derrière ses dents, au bord de sa gorge, rampant vicieusement jusque dans son nez et ses sinus. Si hypoglycémie n'avait pas raison d'elle, peut-être que c'est ce gout atroce qui l'enverrait de l'autre côté. Par réflexe, elle se remplit un verre d'eau, mais le vida immédiatement dans l'évier. L'eau avait le gout du sang. Elle se força à respirer profondément et se pencha sur l'évier. Les éclaboussure étaient rouge écarlates, noires par endroit, épaisses et luisante. Elles dessinaient des formes cryptiques et hypnotiques sur le fond gris métallique. Elle cligna des yeux. L'eau était de nouveau claire.

Elle retourna s'asseoir à son bureau dans un vain espoir d'arriver à réviser. La nausée la prit à peine une minute plus tard. Encore pire que le gout de cendre et de sang. Elle regarda ses mains trembler et laisser tomber son stylo. Toutes ses articulations lui donnaient l'impression d'être faible , inutilisable. Sa trachée et son diaphragme se contractaient désespérément. Elle se précipita vers les toilettes.

Entre le son de son smoothie frappant l'eau de la cuvette, elle entendit un murmure.

"Willow," répétait encore et encore quelqu'un.

Elle mit un moment à se rendre compte que ce quelqu'un était juste derrière elle. Willow était pourtant persuadée d'avoir fermé la porte à clef.

"Kore." salua-t-elle froidement quand elle put parler.

Elle était trop soulagée que la nausée se relâche pour désespérer d'avoir rendu le peu qu'elle avait réussi à ingurgiter. Kore lui tenait les cheveux dans la nuque. Willow ignorait exactement quand elle était entrée. Elle s'apprêtait à s'énerver quand un spasme la força à s'accrocher à la cuvette comme si sa vie en dépendait. Son corps s'évertuait à éliminer tout ce qui restait dans son estomac vide.

"Willow, laisse-moi t'aider. Tu ne pourra pas continuer comme ça éternellement."

Elle avait raison, évidement. Mais Willow n'était pas prête de l'admettre.

"C'est que de la nourriture, tu es en train de te laisser mourir de faim !"

"Je suis pas assez stupide pour m'endetter au près d'une fée."

"C'est pas une dette ! Tu me dois rien !"

"Je sais pas encore ce que je te dois. C'est pire."

Kore s'agitait de plus en plus devant l'entêtement de Willow.

Elle vomit une bile jaunâtre pour laquelle elle était tellement reconnaissante qu'elle aurait pu pleurer : elle couvrait le gout de la cendre. Elle n'en pouvait plus. L'appartement ne voulait pas s'arrêter de tourner, ses pensées lui échappaient chaque fois qu'elle voulait les préciser. C'était une pure torture. Cette nausée insoutenable qui ne partait jamais vraiment, ce gout de sang et de cendre dont elle ne pouvait se débarrasser pendant dans heures après chaque pathétique tentative de repas.