Libre

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À l'âge de 5 ans, j'ai été victime d'un accident domestique. Ma mère a fait tomber une casserole d'eau bouillante sur mon visage lorsque je l'ai enlacée pour lui faire un câlin. Enfin, c'est ce qu'elle a raconté à l'hôpital lorsqu'elle m'y a emmenée. J'en ignore toujours la raison mais ma mère me déteste depuis ma plus tendre enfance. Je suppose que c'est parce que je lui rappelais trop mon père avec mes yeux bleus et mes cheveux de jais. Cet homme, qu'elle a profondément aimé, l'a quitté pour se marier avec son meilleur ami. Se justifiant par le fait que ses parents l'avaient persuadé qu'il aimait la gente féminine et qu'aimer les hommes étaient "contre nature". C'est donc après 12 ans de vie commune qu'il a décidé de prendre sa vie en main et d'assumer pleinement son homosexualité. Cette décision a détruit ma mère et son amour pour moi. Je sais qu'au fond elle continue de m'aimer, seulement c'est trop difficile pour elle de l'accepter car cela reviendrait à accepter l'homosexualité de son mari, du moins dans son esprit. Et ça, ma mère ne se le permettra jamais. Elle me l'a bien fait comprendre lorsque je lui ai dit à quel point mon père était heureux avec Patrick. Elle était si furieuse de l'entendre de ma bouche qu'elle a attrapé la première chose qui lui passait sous la main et me l'a lancé au visage. Résultat, je suis défigurée à vie et les gens n'osent pas s'approcher de moi. J'ai failli perdre mon œil droit, mais heureusement les médecins ont réussi à le sauver. Je ne lui en veux pas, à ma mère, je sais qu'elle souffre de cette séparation. Cependant, j'aimerais juste qu'elle me montre qu'elle est là pour moi, que je ne suis pas juste la fille de l'homme qui l'a trahi. Qu'elle me montre qu'elle m'aime, tout simplement. Mais cela n'arrivera jamais et c'est pour cela que je me trouve sur ce pont. À quoi cela sert de vivre si il n'y a personne pour m'aimer ? Mon père a fait sa vie avec Patrick et m'a oublié. Il ne s'est même pas battu lorsque ma mère a demandé ma garde exclusive. Il m'a laissé à elle, pensant sûrement qu'il lui devait bien ça. Pourtant elle ne me voulait que pour le briser lui, l'empêcher de voir sa petite princesse, le briser comme il l'a fait avec elle. Mais rien de tout cela ne s'est produit, et sa colère s'est accentuée. Je ne suis pas scolarisée, ma mère me donne des cours à domicile. Si j'ai le malheur de me tromper sur l'une de mes leçons, je suis sûre d'aller me coucher sans manger. Et si je me trompe à nouveau le lendemain, je me retrouve à dormir dans la cave, sans couverture pour me tenir chaud. Cette vie misérable je n'en veux plus. Je veux partir dans un monde meilleur où tout le monde sera là pour moi, où je pourrais enfin vivre la vie que je mérite d'avoir et dont on m'a privée. Une jambe après l'autre, je passe de l'autre côté de la barrière. Mes mains quittent le froid métallique et je me laisse tomber dans le vide. La sensation que je ressens me donne l'impression de voler, je suis enfin libre. Puis, brusquement, le froid. Si glacial que la sensation s'apparente à des milliers de couteaux me transperçant le corps. Ne sachant pas nager, il m'est impossible de faire marche arrière désormais. L'eau glacial du fleuve m'engloutit peu à peu et mes paupières finissent par se fermer.

***

Lorsque mes yeux s'ouvrent à nouveau, le soleil m'éblouit si fort que je suis obligée de les refermer. Tout en me redressant en position assise, je protège mes pupilles à l'aide de ma main gauche et observe les alentours. Un coucher de soleil magnifique colore le ciel de chaudes couleurs, puis, d'un coup, des nuages apparaissent, masquant ce spectacle incroyable. Un cri aigu me sort de ma contemplation, une nuée d'oiseaux se dirige vers moi. Désormais debout sur mes deux jambes, une force invisible me pousse à les rejoindre et c'est ce que je fais. Sans aucune hésitation, je me jette à nouveau dans le vide et suis agréablement surprise de sentir deux ailes majestueuses apparaîtrent entre mes omoplates. C'est sans détour que je rejoins le groupe de volatiles, et me dirige droit vers le soleil en leur compagnie. Je suis enfin libre.


One-Shot En SérieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant