L'ange et le démon

Chapitre 3: Tisser des liens

Hope

- Est-ce que... on se connait ?

Il me fixe du regard avant de me répondre:

- Honnêtement... Je n'en ai aucune idée...

Je devine facilement que le français n'est pas sa langue première avec la manière dont il roule ses "r" et l'accent qu'il emploie.

- En fait, ça serait insensé. J'ai passé toute mon existence en enfer et je n'ai jamais eu de contact extérieur quelconque avec la surface. Pourtant...

Reprenant conscience avec la réalité, je me souviens du rôle pour lequel j'existe. Je me réprimande intérieurement avant d'entamer mon travail.

- Tu sais, ça ne fait rien. Je te crois. À vrai dire, je ne pense pas que l'on se soit rencontrés par le passé. Je m'en saurais souvenu.

Il a presque l'air vexé. Allons, Hope. Un petit effort.

Je me rapproche de lui tout en ôtant mon chapeau, que j'accroche à un des montants du lit. Me penchant vers la jeune fille qui se remet tranquillement de son voyage, je passe une main au-dessus d'elle, évaluant ainsi son état. Elle est simplement épuisée. Les blessures qu'elle avait ont été toutes refermées et devaient s'apparenter à quelques égratignures. Au pire, elle aura quelques bleus.

Son énergie est vraiment spéciale: elle a énormément de ressemblance avec Niswa. Je me demande si c'est une simple coïncidence... Après tout, Zagi et moi avions également ce point commun avec cette dernière. Malgré tout, il n'est pas courant que tant de personnes possèdent un aura semblable...

Étrangement, je dirais même que c'est carrément insensé, le mien s'apparente également à l'homme assit à mes côtés. C'est une chose qui, pour du moins, est impossible puisque nous sommes des contraires désignés. 

Par curiosité, je tends la main discrètement vers lui et regrette aussitôt mon geste. Je n'ai pas le temps de me retirer complètement et sa peau frôle la mienne. Ou plutôt, elles se touchent. Je reste bouche-bé. C'est tout simplement irréel, personne ne peut avoir de contact physique avec moi puisque je suis immatériel. Même Zagi n'y arrive pas !

- Est-ce que tout va bien ?

Il a vraiment l'air inquiet à mon sujet.

- Euh, oui, ne t'en fais pas, balbutiais-je en me passant les doigts dans les cheveux.

Merde, pourquoi je rougis ?! C'est quoi ses sensations étranges qui s'emparent de moi ?! Je dois être épuisé, voilà tout. Je ne peux pas tomber malade, les infections et les maux humains ne m'atteignent pas. Par contre, en tant que créature venue d'ailleurs, je me dois de recharger mon énergie vitale une fois par semaine. Rien de bien compliqué.

- Je... commençais-je.

Je déglutis bruyamment et m'éclaircis la voix avant de reprendre:

- Je dois y aller...

Sur ce, j'attrape mon accessoire fétiche, le flanque sur ma tête et me dématérialise pour réapparaître dans mes quartiers. En soupirant, je grimpe l'escalier qui mènent à mon bassin d'eau cristalline. Je repense à cette personne avec qui je viens de converser. Maintenant que j'y songe, j'aurais pu simplement lui effacer la mémoire à propos de moi et le problème aurait été réglé. Sauf que là, il est trop tard: il va se souvenir de moi.

Je me débarrasse de ma courte tunique blanche et déboutonne mon pantalon de toile raccommodé à plusieurs endroits. Certains disent que je devrais me trouver de meilleurs vêtements. Je n'en vois aucune utilité: si ce sont ceux que j'aime et qu'ils sont encore en bon état, à quoi bon ? Je ne ressens ni le froid, ni la chaleur, alors je n'ai pas besoin de redingote ou d'une cape tissée dans de la chanvre-feuille. De toute façon, ça ne ferait que ralentir et limiter mes mouvements. Ce n'est pas pour rien que j'ai suivis un entraînement d'assassin, même si je ne tue personne. 

Aussitôt que je mets mon pied dans l'eau, celle-ci s'illumine et me fait un bien fou. Je m'y enfonce jusqu'au cou, profitant de ce contact sur ma peau. Le liquide tiède brille comme du cristal, éclairant la pièce dans laquelle je me trouve. Je finis par plonger et me laisse couler au fond. Je peux y rester autant de temps que je le souhaite, je n'ai pas de souffle. 

C'est le seul endroit ou je suis seul. Complètement avec moi-même et rien d'autre. Ce silence me fait habituellement le plus grand bien. Je me roule en boule, les bras autour des genoux, la tête contre la paroi de pierre et je ferme les yeux. C'est bien la première fois que ça m'arrive et je n'arrive pas à comprendre pourquoi je ressens ce besoin, tout à coup. La vie est si étrange.

Qu'est-ce qui m'arrive ? On dirait que je suis en manque de... Je ne saurais même pas dire de quoi exactement. Niswa me manque, Zagi me manque... Une simple présence me manque...

Et c'est là que ça me tombe dessus. Ça en devient si évident que j'ouvre subitement les yeux, laissant ma vision se brouiller doucement. La peur, l'angoisse, ces deux émotions que j'ai tant ressenti en aidant les humains me sortent par les pores de peau.

Suis-je entrain de devenir incapable de rester... seul ?