Soixante

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Il y a des moments dans la vie qui vous coupent le souffle, où tout se retrouve sans dessus dessous en un clin d'œil, trop vite pour qu'on l'arrête. Mais la terre continue de tourner, le monde continue de vivre quand notre monde s'écroule, quand on se coupe à la recherche de morceaux brisés, trop petits pour qu'on les trouve. Peut-être était-ce une bonne chose, que les soucis d'un individu n'affectent pas le monde entier, où même leur petit coin d'univers. Harry savait, à l'instant où ses mains tremblantes peinaient à le garder sur la route, il savait que cette partie de son monde n'affecterait pas que lui, ça affecterait Louis. Ça affecterait Louis, et ses amis, et peut-être même sa mère, et c'était l'une des choses les plus effrayantes auxquelles il aurait pu penser pendant ces deux secondes de silences avant que ses pneus ne crissent sur la route gelée et que sa voiture ne se retourne. Il retenait son souffle, son cœur dans les oreilles alors qu'il se recroquevillait sur lui-même, sa ceinture comme seule protection.

Comme à chaque fois qu'il avait peur, il ferma les yeux, et il avait tellement peur. Sa tête cogna contre l'appui tête alors que la voiture heurtait la neige, sur le bas côté, puis quelques arbres, mais il respirait toujours. Il respirait et il retenait un cri alors qu'il était projeté contre la portière,  que le volant lui écrasait son menton et que le verre lui coupait la joue. C'était peut-être l'instant le plus douloureux et le plus calme du monde, ses bras enroulés autour de son corps, les yeux fermés. Tout tournait autour de lui, comme ça l'avait fait toute sa vie. Le silencieux, le flippé qui souffrait tant alors que les autres continuaient leur vie chaotique autour de lui, sans lui. Le silence, il était seul à présent, et il ne voulait qu'une chose, que sa voiture s'arrête. Que les objets projetés contre son torse comme des couteaux s'arrêtent. Que tout s'arrête.

Ça s'arrêta, une fois ses mains en sang, évanouis, toujours tenu par sa ceinture.

Quand il rouvrit les yeux, son téléphone sonnait dans la poche de son jean, et il avait froid parce que sa voiture s'était écrasée dans la neige et que le chauffage s'était arrêté, qu'il était sur le côté dans la neige. Des larmes lui coulaient sur les joues et sa tête cognait. Harry était certain d'être blessé parce que son front était chaud et collant et rouge.

Harry mit le téléphone sur son oreille, incapable de parler à travers la douleur et le froid. La fenêtre s'était brisée et son manteau était mouillé.

« Harry, j'ai fait à dîner. Pourquoi tu n'es pas encore à la maison bébé ? »

Harry sanglota mais chaque inspiration lui perçait la poitrine, et il était à peu près sûr de n'avoir jamais eu aussi mal, du moins physiquement.

« Lou-u, Lou-is », finit-il par dire avant de tousser violemment, incapable de s'en empêcher. Il toussa si fort et ses poumons le faisaient souffrir, une douleur atroce traversait sa poitrine et il pouvait à peine entendre la voix inquiète de Louis au téléphone.

« Harry, où es-tu ? Harry ? Est-ce que ça va ? Dis-moi où tu es et je viens te chercher, mais s'il te plait, respire. »

Harry ferma les yeux quand des phares vinrent illuminer l'habitacle. Une voiture s'arrêta. Il vit une femme se précipiter vers lui, son manteau serré contre elle et un air horrifié sur le visage. « Est-ce que ça va ? » demanda-t-elle d'une voix forte dans le vent. Ses cheveux roux volaient sur son visage. Elle tenait son portable d'une main tremblante. Quand Harry ne répondit pas, elle se rapprocha et s'agenouilla. « Je vais appeler de l'aide, » dit-elle plus doucement, mais Harry tremblait tellement qu'il ne pouvait pas répondre. Il regardait le ciel, la vue trouble, les flocons de neige blanc tourbillonnaient avant de s'écraser au sol, sautillant au vent.

Il n'y avait pas un bruit, seul la respiration lourde et rapide de la jeune femme. Il l'entendit hoqueter quand elle vit son front. « ça va aller, c'est promis. » Harry ne la crut pas quand il toussa et qu'un goût métallique emplit sa bouche. Il sentait le sang lui couler sur le menton. Il entendait la voix de Louis au téléphone, il pleurait.

i sleep naked ➸ je dors nuOù les histoires vivent. Découvrez maintenant