Chapitre 2

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Lui

Elle chante.

Après avoir appelé Chris pour l'incendier de m'avoir posé un lapin (il dormait, je l'ai réveillé, bien fait) et après avoir prévenu les gars qu'on laissait tomber le match de ce soir, j'ai hésité entre rentrer chez moi ou traverser la route qui me séparait de Central Parc. Comme toute option est meilleure que celle de rentrer chez moi, me voilà dans le parc, mes chaussures encore plus ruinées par la boue qu'elle ne l'étaient déjà, planté comme un piquet devant elle sans savoir quoi dire.

Au départ, je pensais qu'elle sanglotait très fort car plus je m'approchais d'elle, plus j'entendais des sortes de cris stridents. Vu que personne d'autre n'est dans le parc à cause du temps pourri, ça venait forcement d'elle. Mais voilà que je me tiens à moins d'un mètre, et elle chante.

Mal, très mal.

Très, très, très mal.

En fait, c'est un supplice de l'écouter mais elle y met tellement de cœur que je n'ose pas l'arrêter. Elle ne m'a pas entendu arriver à cause du casque qu'elle a sur les oreilles, mais elle ne m'a pas vu approcher non plus : elle a tiré son bonnet sur ses yeux.

...

Je crois qu'elle est folle.

Je souffle en passant une main dans mes cheveux bouclés avant de rabattre ma capuche sur ma tête. Je devrais partir. Je ne sais même pas pourquoi je suis venu la rejoindre. J'ai encore un dernier examen lundi matin, je devrais rentrer dormir, comme Chris, et me lever tôt demain pour bosser.

Je la regarde une dernière fois avant de m'en aller. Je ne vois que la moitié de son visage : une partie de son long nez fin, l'intégralité de sa bouche, ses lèvres charnues teintées de rouge à lèvre framboise, c'est Nanie qui m'a appris ça, presque rouge. Assorties à son bonnet. Elle a un menton légèrement pointu et de longs cheveux bruns, ondulés. Je me demande de quelle couleur sont ses yeux. Je devrais peut-être ...

Non. Je dois partir. J'ai un examen lundi.

Je détourne le regard, difficilement, et commence à m'en aller quand elle se tait. Elle a arrêté de chanter au milieu d'une phrase. Ses lèvres sont toujours entre-ouvertes comme si les paroles qu'elle n'a pas voulu prononcer avaient trouvé un moyen de s'échapper malgré tout, malgré elle.

Je reste encore quelques secondes à la regarder, prêt à m'éclipser, quand une larme s'échappe de sous son bonnet et roule le long de sa joue pour atterrir dans sa chevelure trempée. Ça me brise le cœur. Pourquoi ça me brise le cœur ?

Je ne peux pas la laisser comme ça.

Je gémis de frustration, les mains dans les poches et les épaules tendues alors que je fais les cent pas. Je ne la connais même pas et voilà combien ? trois minutes que je me tiens à côté d'elle, cent quatre-vingts secondes que je la fixe alors qu'elle est assise par terre, dans la boue et avec un bonnet rouge sur les yeux. Pourtant je suis incapable de m'éloigner, je ne peux pas la laisser parce que ça me touche de la voir comme ça et que même si je rentrais pour réviser, je ne pourrais pas m'empêcher de penser à elle, je le sais.

Je lève les yeux vers le ciel, la tête rejetée en arrière alors que j'enlève ma capuche d'une main et m'ébouriffe les cheveux de l'autre.

– Euh ... je peux t'aider ?

Je sursaute en entendant sa voix. Je baisse les yeux vers elle et la voit qui me regarde, l'air interloqué, son casque à la main et son bonnet rouge posé sur son sac.

Gris.

Elle a les yeux gris.

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Le Soleil de Minuit (SOUS CONTRAT D'ÉDITION) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant