Chapitre 1

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Le soleil des grands jours parlait d'une forte voix au dessus de toutes les têtes, il disait sa colère contre les crânes de tous ces coupables, qui sans vergogne se plaignaient de sa chaleur .
Lomé brûlait à trente neuf degré, son sol devenait de plus en plus ardent, et son vent transportait une lourde chaleur entre les pores de ces loméens.
Il sonnait la treizième heure de la journée et les rues entretenaient de l'affluence. Il y avait un vacarme qui étouffait toutes paroles isolées, on ne comprenait rien mais chacun parlait.

Ces hommes et femmes semblaient impatients, bien que maîtres de leurs engins et rois de la route. Car en conflit permanent avec le temps, leur plus grand seigneur et maître paraît-il.
Ces esclaves cherchaient donc à défier cette réalité insaisissable, et leur comportement aux feux tricolores dévoilait leur plus grande volonté : s'échapper des mains de l'horloge.

Assis à même le sol, la main collée à un menton voilé de sales barbes, le corps à peine dissimulé dans de vétustes tissus ouverts à tous les endroits, les yeux d'un vieux fou observaient. Il se murmurait quelques questions en silence. Puis il glissait au milieu de chaque murmure un bref sourire ; on aurait dit que le spectacle sous ses yeux l'amusait, que ces hommes et femmes jouaient de la comédie et tenaient bien leur rôle !

Gardant toujours son attention sur tous les faits et gestes, le Fou finit debout, interpellé par l'incivisme d'un motocycliste. L'index pointé en sa direction, il cria d'une forte voix des mots, qui n'atteignirent point l'intéressé : << Devant il y a la mort monsieur et jamais tu ne t'affranchiras du temps >> Clama t'il haut et fort.

Bien que les mots du vieux fou parurent réfléchis, le reste des comédiens, que dis-je ! Le reste des usagers se moquèrent, juste parce-que cette parole sortait de la gueule d'un dérangé. Ce dernier reprit place sur le sol ardent, tout en silence, le regard de nouveau plongé dans son écran.

Le feu passa au vert et comme de la diarrhée, chaque conducteur essaya de forcer le passage pour s'extirper de l'embouteillage, comme si cela leur donnerait une certaine liberté.

Le vieux émit un rire sournois et se remit sur ses pieds. Cette fois il se laissa à la passion commune à tous fous : la marche.
Ses pieds nus, crevassés caressaient ce sol brûlant par ses orteils devenues dures telles des roches.
Avançant sans aucune précipitation, les yeux plongés dans les regards inconnus, il s'était livré à son destin et au vouloir de la nature, suivant peut-être la direction du vent, n'allant surtout pas à un lieu précis, du moins ne sachant vers où le guidait son instinct ; et il marchait sourire aux lèvres, se grattant de temps en temps le corps, s'arrêtant quelques secondes pour admirer les nuages ou pour murmurer quelques interrogations.

Une vie de merde dira le commun des mortels, mais une vie épanouie se réjouissait-il au fond.
Il aimait ce qu'il était ; peut-être parce-qu'il n'avait pas conscience de son état me diriez-vous. Eh bien rassurez-vous ! Puisque contrairement aux autres fous, celui-ci avait conscience de son état, il savait cette place qui était sienne dans cette société, il savait le jugement qu'on portait à son égard. Et il aimait bien cette vie qu'il menait.
Son état de folie loin de le priver de sa raison l'avait plutôt bonifié d'une façon extraordinaire, que ses jugements, ses appréciations et ses points de vue sur le monde paraissaient toujours au-delà de l'entendement.

Il ne cherchait pas à dominer ses semblables, d'ailleurs les seules choses qu'il avait réussi à assujettir étaient son égo et ses désirs charnels. Il avait perdu la notion du temps, du moins la notion matérielle du temps. Lui, sa conscience du temps se limitait au levé et au couché du soleil.
Le jour était pour se balader et observer ; la nuit pour dormir et analyser.
Il se préoccupait du devenir de l'humanité, il s'interrogeait sur le sens que prenait le train de la vie des hommes. Il se moquait bien des progrès dont se félicitaient t'ils , du développement dont ils scandaient le nom tous les jours. Et chaque fois au bout de ses sèches lèvres, il se murmurait des mots de révolte.

L'Étrange FouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant