Chapitre 2

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  Le lendemain, avant même que l'astre de la vie n'ouvrît son coeur à la terre, le fou avait déjà quitté son doux sommeil. Les yeux fixés sur son toit en bois, la tête libérée de toutes réflexions. Il aimait ces instants du temps, où tout reprenait vie, moment où l'obscurité peu à peu se dissipait, où les coqs à tour de rôle poussaient hors de leur gorges le cocorico.

Lorsque l'aube se manifestait, il sortait de son abri et se mettait à déambuler autour des tables et bancs, le regard dirigé vers l'est, d'où naissait chaque matin le soleil. Seul moment où il s'impatientait, exécutant à grande enjambée des va-et-vient comme s'il essayait de pousser le temps de ses pas.
Et lorsque l'astre radieux finissait par se montrer, le vieux fou laissait un large sourire venir rajeunir sa face.
Devant ce soleil du matin toujours bon enfant, calme, et non agressif ; le vieux devenait spectateur. Immobile pendant de longues minutes , il finissait par faire corps avec ses blanches lumières .
C'était sa manière à lui de dévorer la vie, de prendre conscience de cette chance, que lui offrait chaque jour le Divin.

Lorsqu'il sonna six heure, ses amies, les bonnes dames débarquèrent comme chaque matin, avec sur la tête leurs marchandises. Elles redisposèrent les meubles, puis s'installèrent.
Parmi toutes ces femmes, il y avait une qui aimait bien taquiner le vieux fou. C'était Da Vodou, celle qui commerçait de la bouillie de maïs . Et ce matin, elle avait bonne mine, prête à chercher palabre.

— Aujourd'hui notre mari ne nous dit-il pas bonjour ? S'adressa-t-elle à l'endroit des deux autres femmes.

Le vieux avait bien compris, qu'il était celui là que Da Vodou nommait " son Mari" . Mais resta silencieux sur le sol où il avait pris place depuis un moment.
Juste sur la droite de Da Vodou se trouvait la jeune Amivi, revendeuse de frites d'igname et de patates douces. Puis sur sa gauche était installée la plus âgée de toutes, Awé, dont le riz était aussi réputé que son nom. D'ailleurs ses clients aimaient désigner le riz par son nom, " Je m'en  vais manger Awé " disaient-ils.

Les deux femmes répondirent à Da Vodou que par un bref sourire. Insatisfaite, elle reprit alors la parole :

— Je me demande bien pourquoi notre mari n'a pas ouvert sa bouche depuis que nous sommes là. Ne sommes nous pas assez belles pour être abordées ?

— Peut-être qu'il va pas bien ce matin, laisse le en paix, répondit Awé d'une voix autoritaire.

Intervention qui fit sourire le Fou, et qui le sortit de son silence.

— Ça va, je vais bien femmes. Mais j'irai mieux si le monde se reprenait en main. Sinon je vais bien, répondit-il en se mettant sur ses pieds.

Da vodou tourna le regard et l'observa pendant quelques secondes puis soupira.

— C'est vrai, tu es toujours le même. Rien a changé. Même tes cheveux ne poussent plus, alors t'as quoi pour nous aujourd'hui ?

— Sûrement une belle histoire, intervint Amivi. Raconte nous une  histoire cher mari. J'aime bien tes histoires sur la forêt.

— Une histoire de forêt en pleine mâtinée ? Je les préfère la nuit.

Le vieux fou reprit place derrière les trois femmes et se mit à conter une petite histoire.

<<     Il y a longtemps, très très longtemps,  "le Soleil" s'était réveillé en chantant :

—   je suis le plus fort et je suis celui qui séduit tout le monde et nul ne peut me résister. Il revendiquait même le rang de Dieu suprême. Quand je viens vous voir vous dormez disait-il.

Il se mit à chanter, à danser et on l'entendait partout. Il faisait tellement de bruit qu'il finit par attirer l'attention de tout le monde.

C'est en ce moment là que " le Souci " qui jusqu'à présent s'était endormi se réveilla en sursaut et s'exclama :

L'Étrange FouOù les histoires vivent. Découvrez maintenant