Chapitre VI

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*Felt like I could run forever*

Il y avait le cinéma aussi. Ode aimait aller au cinéma. Elle disait que rester chez soi à regarder un DVD, ça ne valait pas la salle de cinéma. Alors ils allaient au cinéma, à la même salle, sur les mêmes sièges. Cela faisait longtemps que Tony n'avait pas vu de films, il redécouvrait l'effet que ça faisait, d'être aspiré hors de soi pendant deux heures, de vivre une autre vie que la sienne et de quitter son corps pour rendre plus facile, comme des pauses, sa vie réelle.

Quand le film se terminait, Ode ne parlait pas pendant un moment, molle comme après une hypnose, il lui fallait du temps pour regagner complètement son corps. Bientôt, Tony aussi était pareil, comme s'il réapprennait à vivre hors de lui, et à mieux y revenir.

Quand le film commençait, ils étaient dans cet état de légère excitation. Mais, souvent, ils étaient déçus. Ce n'était pas le film dont ils avaient rêvé. Ce n'était pas ce film total que chacun porte en soi. Ce film qu'ils auraient aimé faire, ou plutôt, ce film qu'ils auraient aimé vivre.*

Au-delà du cinéma, Ode emmenait Tony dans les coins de la région qu'elle chérissait, qui étaient devenus les siens.

C'était une sacrée côte, un sacré sentier, qu'elle lui faisait traverser. Il n'était plus habitué à marcher autant, il s'essoufflait facilement et ralentissait.

- Allez nous sommes bientôt arrivés, courage, s'exclama Ode.

- Je suis épuisé.

- Vous plaisantez ? C'est moi qui porte le sac !

Elle jeta un regard en arrière et s'amusa de le voir péné. Oh, à cet instant il la maudit d'avoir voulu faire cette randonnée.

Et alors ils arrivèrent à l'endroit voulu. C'était un coin tranquille où se jetait une petite cascade d'eau pur, entourée de rocher. Tony s'arrêta pour admirer. L'eau s'ecoulait paisiblement, formait un petit bassin avec quelques feuilles mortes. Les arbres ombrageait cet endroit pour qu'il soit comme caché. Le bruit des oiseaux, des insectes, des feuilles, formaient un agréable silence. Sur le côté gauche, il y avait un vieux chêne dont les racines se battait avec la pierre. Ce n'était pas spectaculaire mais d'une tranquillité inégalée.

Au milieu de tout ça, il y avait Ode. Elle collait parfaitement au décor. Elle était chez elle. Et quand il s'avança à son tour, il se sentit aussi chez lui. Il ressenti un sentiment de paix. Ce n'était pas l'isolement qu'il subissait dans sa tour, ici, c'était un isolement qui rendait libre. Un isolement au centre du monde, parce qu'il pensait être le centre du monde.

- Ça valait le coup de se plaindre tout le chemin, hum ? se vanta t-elle.

- J'ai faim, grogna t-il.

Et là, assis sur un rocher, mangeant un sandwich fait par Ode, le monde entier disparut et fut si présent en même temps. La nature avait une présence envahissante, enivrante, qu'elle libérait de tout. Il n'y avait rien d'exceptionnel, mais il avait envie que ce moment dure toujours.

Depuis quelques jours, Tony se sentait comme coupé en deux. Il avait ce côté qui voulait tout arrêter, replonger, abandonner. Et il avait ce côté qui voulait vivre, qui voulait s'en sortir. Il y avait un conflit en lui, ça le déchirait parfois, mais c'était mieux que d'être tout entier dans le mauvais côté. Et puis il y avait des endroits, des moments comme ça, où le conflit disparassait, où il se sentait submergé par la paix.

- Je me sens bien, ici, souffla t-il.

- Il y a des endroits qui font cet effet, oui.

Elle croqua son sandwich, une miette resta sur le coin de sa lèvre. Il sourit, attendri par ce petit détail. Attendri par le cadre entier, elle, les genoux serrés, assise sur un rocher, le dos un peu courbé, les jambes dénudés un peu rougies par les ronces, l'esprit concentré sur sa nourriture.

 Ode Aux Ascenseurs Où les histoires vivent. Découvrez maintenant