Chapitre 4

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Je me réveillai en sursaut, le sang battant violemment à mes tempes. Comme souvent, c'était un cauchemar qui m'avait sortie de mon sommeil. C'était toujours le même : des ombres s'aventuraient jusque dans mon lit pour m'étouffer. Manifestations inconscientes de mon angoisse, certainement. Heureusement, ce cauchemar se raréfiait au fur et à mesure que le temps passait. Un regard au réveil m'apprit qu'il était 3h06. J'étais toujours seule dans le lit, Ben n'était pas revenu. Dépitée, j'enfilai un kimono et me rendis dans le couloir. Silence. La soirée était bel et bien terminée. Je descendis les escaliers dans la pénombre, les seules lueurs étaient celles, pâles, de la lune, filtrant à travers les fenêtres. L'escalier de marbre ouvert desservait les trois étages, permettant aux grandes baies du rez-de-chaussée d'éclairer les couloirs des deux premiers paliers. Une fois en bas, je me rendis à la cuisine. En chemin, j'aperçus des silhouettes endormies sur les fauteuils et parfois même par terre. À l'évidence, certains n'avaient pas réussi à monter jusqu'à leur chambre. Le manoir de mon oncle en possédait une quinzaine, certaines décorées de façon très particulière... Je pris de quoi grignoter dans le frigo, un peu de fromage, quelques tomates cerises, me fis une tisane, et m'installai à l'îlot central. Je me demandai où était passé Ben. Avait-il pu retrouver James ? Était-il parti au bras d'une autre femme ? Cette idée me tordit les entrailles et me dégoûta de ma tartine de camembert. « Allons, me morigénai-je, tu ne le connais pas cet homme, si ça doit n'être qu'une nuit, ça ne sera qu'une nuit, tu es une grande fille, tu t'en remettras ! » Néanmoins, cette idée me rendait amère ; j'avais eu un coup de cœur instantané pour ce bellâtre.

En remontant jusqu'à ma chambre, j'entendis soudainement des voix vives. J'étais au deuxième étage, là où se trouvait la chambre de mon oncle et ma tante. Je savais pertinemment que cette nuit, James découcherait, et se trouverait dans une des pièces aménagées pour ce genre de soirée, en bonne compagnie. Je me rapprochai de la porte de la pièce d'où je percevais les murmures : une chambre d'amis banale – décorée tout de même avec soin, ma tante n'aurait pas permis le mauvais, ou l'absence, de goût. Je collai mon oreille contre le bois avec un pressentiment.

« Lili, tu sais bien que ça n'est pas possible... (C'était la voix de Ben, qui semblait lasse. Il l'appelait par son petit nom, ce qui me peina. Ils étaient bien plus proches que ce qu'il m'avait raconté.)

– Tu dis ça à chaque fois, et pourtant tu reviens me voir dès que l'occasion se présente ! (Je décelais des trémolos dans la voix de ma tante. Avait-elle pleuré ?)

– C'est toi qui reviens sans cesse ! Tu feins de m'ignorer à chaque fois, puis tu arrives, chaude et enivrée, et voilà ! Tu sais bien que je ne peux pas résister. »

J'entendis Félicité rire, narquoise.

« Ah bon, c'est de ma faute alors, forcément ! Je ne peux pas te voir avec toutes ces minettes de vingt ans, et tu t'attaques à ma nièce maintenant ! Comment dois-je le prendre ? Tu m'as totalement délaissée depuis quelques temps, je ne suis plus à ton goût ? Je suis trop vieille, c'est ça ? » (Sa voir prenait des accents suraigus.)

Ben soupira.

« Tu sais bien que ce n'est pas ça... Ça fait vingt ans Lili, ce serait bien qu'on passe vraiment à autre chose. Tu as James, ce n'est pas raisonnable de lui faire subir ça... » (Il se mit à chuchoter ; je dus me presser davantage contre la porte.)

Je perçus des petits halètements, des bruits d'étoffe que l'on fait tomber au sol, des baisers mouillés. J'étais paralysée. Mon cerveau me criait de partir, mais mes membres n'obéissaient pas. Lorsque je saisis des râles et des paroles obscènes criées par ma tante, je me dégourdis enfin et m'éloignai en catimini, choquée.

Une fois dans mon lit, je me pelotonnai contre mes oreillers. Les rideaux se soulevaient doucement sous la brise, la chaleur était retombée depuis un moment et je laissai la fraîcheur du vent caresser ma peau nue. J'étais en colère contre Ben. Il m'avait menti. Il couchait avec ma tante, et même si l'idée ne me plaisait pas, je ne trouvais pas de raison valable au mensonge. Mais une idée me vint : James n'était sans doute pas au courant... Être libertin était une chose, mais partager sa femme avec son meilleur ami une autre. Je me promis d'éclaircir la situation avec l'armateur le lendemain.

Un délicieux étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant