Chapitre 5

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J'étais attablée sur la terrasse, profitant des rayons du soleil encore doux en petit-déjeunant, quand Félicité arriva avec un plateau. Comme tous les matins, elle se préparait son thé noir et sa salade de fruits - une des particularités de ma tante était qu'elle était constamment au régime. Je lui fis un signe de tête en guise de bonjour, auquel elle répondit du bout des lèvres. Je scrutai son visage : fermé et fatigué. J'étais bien placée pour savoir que la nuit avait été courte. Nous mangeâmes en silence, chacune à un bout de la grande table en tek. Ce fut au tour de James d'arriver, un grand sourire accroché à ses lèvres.

« Comment vont mes deux beautés ? » demanda-t-il en nous embrassant chacune sur le front.

Je répondis un « Très bien » placide tandis que Félicité leva les yeux au ciel. James s'assit à côté d'elle et entama le paquet de brioche disposé sur la table. Au fur et à mesure, d'autres invités s'installèrent, l'air chiffonné et gêné. Les lendemains d'orgie étaient toujours très amusants : personne ne savait où se mettre, tout le monde s'empressait d'avaler quelque chose avant de se dire de grands au revoir embarrassés. Mais tous répondaient à l'appel lorsque James les relançait. L'apparence coincée du gotha de la région se craquelait sitôt que l'alcool coulait à flot, et tous savaient que tout ce qui se passait au manoir restait au manoir...

L'immense jardin était de nouveau propre, les serveurs de la soirée avaient rangé le bar et les tables sorties pour l'occasion, démonté la scène dansante et les guirlandes colorées, et le jardinier que mon oncle employait avait remis la pelouse en état au petit jour. L'eau de la piscine miroitait au loin, et m'appelait irrésistiblement. Cela sentait la journée farniente.

Vers midi, tout le monde était parti. James secoua généreusement la main d'un avocat au ton rougeaud, et s'en fut rapidement à ses affaires. Y'avait-il un moment où il ne travaillait pas ? J'étais persuadée que même lors de ses nuits de débauche il réfléchissait à ses dossiers. Félicité se leva avec raideur de sa chaise et rentra à l'intérieur. Je me retrouvai seule. Ben ne s'était pas montré. Je laissai moi aussi les restes de mon petit déjeuner sur la table et me rendis au jardin. Gwen, la domestique, se chargerait de nettoyer plus tard ; elle commençait tardivement le dimanche.

Arrivée au bord de la piscine, je vérifiai que personne n'était dans le coin et enlevai mon kimono. J'offris ma peau de rousse au soleil de midi quelques instants avant de plonger dans l'onde fraîche. Je nageai quelques brasses, puis me mis en planche. Je flottais ainsi béatement, avec l'impression que l'eau me lavait de toute inquiétude. Les ondulations liquides glissaient sur mon épiderme, bienfaisantes et sensuelles, massaient mon pubis et mon ventre, la rondeur de mes seins, ma nuque ; le temps n'existait plus. Ma rencontre avec Ben s'imposa à mon esprit : mon plaisir solitaire, encore mouillée de ma baignade, son regard rieur et intéressé... Le désir s'empara de moi brusquement et m'arracha à ma transe. Je retournai au bord, et au moment de me hisser pour sortir de la piscine, deux chaussures bateau bleu marine se plantèrent devant mon regard. Mon coeur manqua un battement. Ces chaussures appartenaient à Ben. Je levai les yeux et les plantai dans les prunelles de mon amant d'un soir.

« Décidément, on se retrouve toujours au même endroit », commenta-t-il en souriant.

Il me tendit sa main, que j'attrapai sans l'ombre d'une hésitation. J'atterris tout contre lui, ruisselante. Son torse, moulé dans un polo blanc, était chaud et réconfortant, et je me fis violence pour ne pas m'y blottir.

« Je ne t'ai pas vu ce matin, » reprochai-je.

Je ramassai mon kimono au sol et l'enfilai prestement. Je n'attendis pas sa réponse et ajoutai :

Un délicieux étéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant