IX

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Lorsque les maitres rentrèrent, chacun retourna à son poste. Hélia suivait Héphaje comme un enfant suivait sa mère pour se protéger.  Son maigre corps tremblait souvent et elle ne parvenait pas à prendre toutes les choses qu'on lui tendait. Son corps, trop souvent malmené, était comme défectueux. Face à ça, les femmes de la maison n'étaient pas toute du même avis. Plusieurs points de vue s'opposaient, mais une seule question revenait sans cesse : Pourquoi l'avoir engagée, elle ? Cependant, personne ne savait ce qu'il en découlait vraiment.

Les rumeurs sur la pigmé se rependirent raidement, et il ne fallut pas un jour avant que l'image d'animal ne lui soit collé aux visages. Héphaje ne la quittait jamais et la défendait. En effet, si les servantes la respectaient en majorité, beaucoup des autres domestiques ne voyaient en Hélia qu'une bête sans âme, sans civilité et beaucoup trouvait ce collier trop léger pour un tel animal. Mais à toutes ces accusations, Héphaje se dressait devant elle. Hélia vacillait... elle ne connaissait pas cette femme d'un autre monde mais elle qui n'avait jamais connu sa mère, il lui semblait que leur relation était comme telle. 

Après avoir rangé les affaires des maitres, Héphaje laissa Hélia quelques temps. La pigmé resta seule dans le dédale de couloir blanc et posa sa paume tremblante sur le mur pour s'y appuyer. Elle était épuisée et ce lieu lui donnait des frissons. Il était trop propre sur lui... et elle ne pouvait réfuter ce qu'elle avait sentie lors de sa rencontre de toute à l'heure. Cette odeur... qu'elle avait sentie alors que ses amis et parents fumaient encore sous les bois noircis de flammes. 

Une voix l'appela soudain.

- Hé...lia...

La pigmé fut parcouru d'un frisson et se tourna en direction de l'endroit d'où provenait le son. Une autre voix fit dresser ses pauvres cheveux. Les voix se multipliaient autour d'elle et il lui semblait voir des corps ramper à ses pieds. Elle écarquilla ses yeux, les mains posées sur son visage comme pour se défendre. Son cri fut si perçant que les verres aux alentours se brisèrent sous une telle résonance.

Son univers n'était plus qu'un brouhaha de cris pétrifiants et lorsque Héphaje la secoua comme pour la réveiller, le mirage vacilla mais resta toujours présente. Hélia, qui pensait voir en face d'elle une masse sombre et fumante, se débattait apeurée. Son corps se contracta et les creux s'intensifièrent. Ses mains atteignirent la joue et l'épaule de Héphaje. De grandes traces percèrent sa peau et quelques gouttes de sang se perdirent dans l'immaculée maison. Hélia ne sortait pas de sa transe et Héphaje, pourtant blessée commençait à ne plus savoir quoi faire. 

Les gardes de la demeure commencèrent à arriver, armes à la main et prêts à les utiliser sur l'animal fou qu'il voyait face à eux. Une goutte de sueur coula le long du cou de Héphaje qui se débattait avec Hélia. Puis sous la pression, elle tenta quelque chose de fou. Elle se jeta dans les bras d'Hélia. 

Les ombres et les voix se turent comme aspirées et après la tempête, le calme revient enfin. Hélia était perdue, les yeux écarquillées. Ces fantômes semblaient si réels, il lui semblait sentir encore leur touché sur ses chevilles et cuisses. La main d'Héphaje dans ses cheveux la calma enfin. Mais les armes froides teintaient en sa direction.

- Héphaje lâchez cet animal incontrôlable !

Mais la jeune femme se refusa à la lâcher et serra plus fort encore son emprise sur la pigmée. Les maîtres descendirent de leur chambre tandis qu'on essayait de séparer les deux femmes. 

- Quel est donc tout ce vacarme à cet heure !

Les gardes arrêtèrent leurs secousses et se postèrent aux gardes à vous devant leur maîtres. Ils expliquèrent enfin la situation et l'homme demanda à Héphaje des explications plus poussées. La domestique lâcha sa prise sur Hélia mais serra fort la main de son amie. Hélia vit alors les marques qu'elle venait de faire sur cette femme qui l'avait comme sauvée. Un immense sentiment de culpabilité la prit et elle n'osa plus que regarder ses pieds en tremblant. La puissance de la poigne d'Héphaje la rassurait mais augmentait aussi son état d'âme. 

- Je prends l'entière responsabilité de cet incident maitre.

- Tu prends 'Toute' la responsabilité Héphaje ? 

La voix de l'homme était si froide qu'elle fit presque tremblée Hélia.

- Oui maître.

- Nettoies moi tout ce bazar alors, et vient me voir ensuite.

Il commença à partir puis se retourna et regarda les profondes griffures sur sa domestique.

- Qu'on lui lime les ongles, ou qu'on les lui enlève.

Héphaje écarquilla les yeux et se prosterna face à lui.

- Je vous en prie maître... je m'occuperai d'elle, vous n'en entendrez plus parler !

L'homme glissa son regard sur son employée et détourna son attention. Sa femme le suivit dans les escaliers et le calme revient. Tout les regards se tournèrent vers Hélia et Héphaje et les murmure percèrent les oreilles de la maître de maison. 

- Que regardez vous ? Retournez à votre poste plutôt que de débiter et causer sur les gens !

Malgré cet incident, Héphaje restait la chef et les domestiques obéirent, mais beaucoup lancèrent des regards remplis de peur sur la jeune femme qui se tenait toujours au milieu des débris de verre. Enfin, il ne restait plus qu'elles dans la pièce. Hélia aurait souhaité s'excuser mais elle ne pouvait se faire comprendre. Elle resta droite, la tête penchée en avant, le regard fixé sur ses chaussures. Héphaje se mit devant elle et releva sa tete, elle replaça une mèche des cheveux corbeaux et sourit à la pigmé. Hélia restait bouche bée face à tant de bonté, il lui semblait que cette personne était née sur la mauvaise contrée, dans le mauvais peuple. Pourquoi cette femme était elle si gentille à son égard ? Voici ce que pensait Hélia. Elle ne pensait plus comme avant. Auparavant, elle se serait demander pourquoi les hommes et femmes de ce peuple étaient si mauvais. Désormais elle se demandait pourquoi cette femme était, elle, la bonté même. La méchanceté et les coups étaient devenus la normalité pour Hélia, et elle ne se rendait pas compte à quel point cela était triste.

Les mots ne pouvaient faire comprendre ce qu'elle ressentait, mais les gestes parleraient pour elle. Elle posa ses paumes sur son cœur puis, après les avoir chargés comme d'une sorte d'énergie, elle les posa sur le cœur d'Héphaje. La jeune domestique fut si touchée par cet acte pur de gentillesse qu'elle lâcha une larme. 

Il lui semblait la revoir, et cela la rendait à la fois triste et à la fois terriblement heureuse.  

Héphaje lui sourit et posa ses paumes chaudes sur les siennes. 

- Merci à toi Hélia. 

Héphaje apporta de quoi nettoyer la blessure d'Hélia et tandis qu'elle s'occupait d'elle, elle voyait que la pigmé souhaitait réparé ses erreurs. Hélia prit un tissu propre et cherchait quelque chose comme pour désinfecter, mais elle était perdue. La douce main d'Héphaje lui donna un flacon. Hélia lui sourit et versa de son contenu sur le tissu et se mit à panser la plaie de son amie. 

Quand elles eurent toutes deux finies, Héphaje demanda à Hélia de rester dans la chambre et d'aller se reposer, du moins fut il ce qu'elle cherchait à lui dire. Hélia, ne voulant pas lui donner plus de problème qu'elle n'avait déjà s'assit sur sa banquette froide et resta seule tandis qu'Héphaje partit.

Hélia se leva et regarda par delà la fine fenêtre. Elle avait peur que ses démons ne viennent la chercher encore. Elle posa sa paume sur le verre froid et pensait à son village. Il lui manquait tellement. Ses amis... son père lui manquait tellement. 

Elle se coucha sur le maigre lit et contempla les rayons de la lune sur sa main. Elle ne pouvait pas abandonner son pays... Elle se devait d'y retourner... Elle se devait de les venger, tous... Mais comment survivre dans un monde qu'on ne connait pas... alors que la méchanceté et la fourberie règne en maître dans cet endroit...

Elle ferma ses yeux turquoises un instant puis après quelques minutes les rouvrit.



Elle ne pouvait pas abandonner.



HéliaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant