Renaissance(s)

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Voilà une semaine que je suis rentrée à la maison. Chez moi. Un appartement vide où ne subsiste de ma fille que quelques affaires qu'elle a oubliées bien malgré elle. Un pull, quelques DVD, un bracelet. Elle vit chez son père maintenant, c'est mieux. J'ai signé les papiers du divorce hier, ils attendaient bien sagement dans la boîte aux lettres entre une pile de publicités et deux ou trois factures. Il faut dire que je me suis absentée longtemps. Quarante-deux jours exactement. Six fois le temps qu'aura duré mon calvaire. Il fallait bien ça, je suis encore en miettes. J'ai arrêté d'essayer de comprendre pourquoi ça m'était arrivé à moi. Pourquoi Il me voulait précisément. Ma psy m'a bien aidée. Selon elle Il était malade, ce n'était pas rationnel, ce n'était surtout pas ma faute. N'empêche qu'il savait ce qu'il faisait. Je n'ai pas eu l'impression qu'il était fou quand il m'a séquestrée, menacée, touchée, attachée, caressée. Violée.
Bref, il ne faut pas que j'y pense, ça fait trois semaines entières que je n'ai pas fait de crise d'angoisse. Mais ce n'est pas à cause de Lui que je me suis séparée d'Olivier. Mon couple a volé en éclat quand je suis tombée amoureuse d'un autre. Un coup de foudre. Ça existe finalement. Je suis quelqu'un de pragmatique, je réfléchis, je n'y croyais pas, avant. Et pourtant. Je lui ai tout donné. Mon cœur, mon âme, mon corps. Et il a tout pris, m'a adorée, consumée, enflammée. Notre histoire était éphémère, on l'a su dès le départ, mais je ne regrette rien. Ça en valait la peine. J'espère juste qu'il est heureux. Maxime.

Je dois reprendre le travail dans deux semaines. Ma psy dit que je suis prête. Que plus j'attends plus ça sera difficile. Mais je ne sais pas si j'y arriverai. Retourner au lycée, me retrouver devant une classe entière alors que je n'ai plus d'assurance, ni même d'énergie. Mais je vais essayer. Parce que je suis une battante. Parce qu'Il ne va pas ruiner toute ma vie. Déjà qu'il m'a privée de justice en se prenant la sienne.
Alors j'ai décidé de me reprendre en main. Dès demain je vais à la salle de sport me refaire une santé. J'ai perdu du poids, je n'aime pas l'image que me renvoie le miroir, j'ai besoin de me remuscler. Je suis passée à la salle tout à l'heure pour m'inscrire et le gérant, Fred, m'a proposé de suivre le même programme qu'un autre de ses adhérents qui a besoin d'un partenaire pour s'entraîner. D'après lui j'ai le niveau et ça me motivera. C'est vrai que j'aime les défis. Pourquoi pas. Ça me fera du bien aussi de discuter avec quelqu'un, je me suis trop isolée.

Je stresse. Mais je suis impatiente. J'ai l'impression qu'aujourd'hui va marquer un tournant dans ma reconstruction. Je tourne la page. Je fonce. Ce n'est pas la première fois dans ma vie que le sport va me porter. Je sais ce que c'est. L'adrénaline, l'exaltation, l'acide lactique qui brûle les jambes, le cœur qui perfore la poitrine.
Je respire à fond et sors des vestiaires. Fred m'attend avec un grand sourire. Il est sympathique, bienveillant. Il ne sait pas. C'est bien, il faut que j'arrête de croire que ce qui m'est arrivé est marqué sur mon front. Ça ne me définit pas. Je vais de l'avant. Maintenant.
— Prête ?
— A fond !
— Super ! Viens, je vais te présenter ton binôme.
Il m'emmène vers les machines pour travailler le cardio. Elliptiques, rameurs, tapis de course.
— Max !
Le jeune homme qu'il interpelle se retourne. Je ne l'avais pas vu. Son visage se décompose. Le mien aussi s'en doute. Fred nous dévisage, je sens son regard se poser alternativement sur moi puis sur Maxime. Il sent qu'il y a un os.
— Ça va ? Vous vous connaissez ?
On hoche la tête. Tous les deux. Fred est mal à l'aise. Le pauvre, il ne comprend rien.
— Ça fait longtemps qu'on ne s'est pas vus, dit Maxime.
J'hésite à partir. Mais c'est mon moment. Je veux rester. Après tout, nous ne sommes pas fâchés. Notre amour nous a dévoré, la rupture nous a vidé. On a préféré s'éloigner. Pour panser nos peines sans risquer de nous perdre à nouveau.
C'est moi qui ai rendu sa liberté à Maxime. Je ne pouvais pas le garder près de moi plus longtemps, il le savait. J'ai quarante ans, il en avait dix-huit. Il sera un père merveilleux un jour. Mais pas maintenant. Je ne voulais pas lui demander de renoncer.
Fred abandonne.
— OK... Bon, je vous laisse vous échauffer tranquillement, Max, tu lui montres ?
Je monte sur le tapis et lance un programme. Je sais faire, merci. Petite foulées, reprise en douceur. Maxime fait de même, on se tait. Je sais qu'il est au courant de ce qui m'est arrivé. Forcément. Les media locaux en ont parlé. Et puis surtout Il était le meilleur ami de son père. Donc il sait, au moins dans les grandes lignes. Personne ne saura jamais exactement ce que nous avons échangé, Lui et moi.
Maxime me regarde du coin de l'œil. C'est marrant qu'on soit si timides après avoir été capable de se sauter dessus sauvagement. C'était comme ça au début. Enfin, pas au tout début. D'abord il a fallu que j'apprivoise les sentiments que j'avais pour lui. Ça a mis un certain temps, mais quand j'ai compris que je ne pourrais pas continuer à vivre sans savoir ce que ça faisait d'avoir sa peau contre la mienne, quel goût elle avait, quelle odeur il dégageait après l'amour, alors toutes les barrières sont tombées et plus rien ne nous a retenu.
Je l'observe aussi. Il ne va pas vite mais il court bizarrement. Je le remarque tout de suite, parce que je l'ai entraîné pour un semi-marathon en dehors des cours, avant que tout ne nous échappe.
— Ça va ?
— Ouais. Ouais, ça va.
Je crois que c'est la première fois qu'il me ment. Je stoppe ma machine et arrête aussi la sienne.
— Je connais ta foulée par cœur, Max, qu'est-ce qui ne va pas ?
— Rien, rien... Juste une tendinite qui met un peu de temps à passer, c'est tout.
Là, je suis carrément surprise. Je pensais qu'il avait plus de jugeote que ça.
— Tu t'entraînes alors que tu es blessé ? Non mais ça ne va pas ?
— Ça va, je te dis ! Je me soigne.
— Tu te soignes ? Maxime, tu sais très bien qu'il n'y a que le repos qui peut guérir une tendinite.
— Je gère la douleur, c'est bon. Je n'ai pas le choix de toute façon, je prépare le triathlon.
Il fuit mon regard et je comprends bien qu'il ne me dit pas tout. Mais je ne suis pas née de la dernière pluie. Il oublie juste que j'ai connu le haut niveau. Ô Maxime... dans quelle galère t'es-tu fourré ? Je veux savoir si mon intuition est bonne. J'espère que non.
— Des athlètes qui s'auto-détruisent j'en ai vu des dizaines, je sais exactement comment ça fonctionne. Qu'est-ce que tu prends ?
— Hein ?
— Qu'est-ce que tu prends ? Comme médocs. De la codéine ?
Je crois qu'il ne s'attendait pas à ce que je le démasque si facilement. En même temps il a vraiment une sale tête, ça se voit qu'il n'est pas bien. J'espère qu'il ne prend que de la codéine, parce que sinon...
— Au début ouais.
Et merde.
Il me dit qu'il est passé au Tramidon, c'est un opiacé qui crée une forte dépendance. Il est tombé dans le panneau. Il prétend vouloir arrêter mais ne sait pas comment s'y prendre.
— Tu n'y arriveras pas tout seul, Maxime. Va à l'hôpital.
— Non ! Ma grand-mère croit que j'ai arrêté. Elle a compris pour la codéine mais ne sait pas pour le reste. Si je vais la voir elle va forcément en parler à mes parents et je ne veux pas qu'ils soient au courant. Ma mère s'inquiéterait beaucoup trop et ce n'est pas bon pour le bébé.
— Chloé est enceinte ?
Ça alors, je ne l'avais pas vu venir celle-là. J'espère qu'il ne va pas s'imaginer que ça pourrait me donner des idées. Il acquiesce sans commentaire et je n'insiste pas, pas la peine de nous étendre sur le sujet.
Bon. On ne va pas rester plantés là sur nos tapis immobiles, Fred ne va pas tarder à venir nous voir. J'hallucine qu'il ait laissé Maxime pratiquer avec une cheville mal en point.
Je crois que le fait de m'en parler a bousculé Maxime, il a l'air complétement paumé. Reprendre la course n'est évidemment pas une option. Il n'oserait pas, il sait qu'il déconne. Du coup, il ne sait pas quoi faire. Je vois qu'il commence à trembler et la sueur perle sur son front bien plus que quand il courrait.
— Viens, je lui dis.
Je pose ma main sur son poignet et l'entraîne vers les vestiaires. Je me concentre sur ce que j'ai à faire plutôt que sur le contact entre nous. Je sens son pouls sous mes doigts. Mais je ne veux pas y penser. Je crois que je devrais fuir, j'ai peur de faire une connerie. Mais je ne peux pas le laisser dans cet état. Surtout qu'il ne proteste pas. Alors je lui demande d'aller chercher ses affaires et je l'emmène.

Renaissances (Demain nous appartient - Clemax - NOUVELLE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant