Ce lieu n'est pas très différent du précédent. Je retrouve les grandes plateformes mais celle sur laquelle je suis n'est pas dans les airs. Elle est posée à même le sol. Quand je lève les yeux au ciel, je vois les ascenseurs monter et descendre, ainsi que le dessous des plateformes situées plus haut. C'est un tout autre monde. Je me sens toute petite et impuissante, et j'ai l'impression que les plateformes vont me tomber sur la tête. Où l'atmosphère légère et aérienne de l'endroit précédent est-elle passée?
En marchant le long de l'avenue principale qui traverse la plateforme, je me rends compte qu'il y a quelque chose d'étrange : il n'y a presque pas de végétation ou d'eau, il n'y a presque personne dehors si ce n'est une troupe armée composée de militaires portant des uniformes blancs. Ils semblent sortir de nulle part. L'un d'eux tire derrière lui un petit corps fragile et tremblotant... Johon ! Le garçon a les larmes aux yeux et porte une combinaison blanche. On dirait un prisonnier mais il est pourtant si innocent. Le militaire le jette à terre et sort un instrument de son sac. Je ne peux, ne veux pas y croire... Ce monstre commence à lui tirer dessus avec un pistolet à impulsion électrique. J'ai envie de crier, de m'interposer. Je me mets à pleurer, c'en est trop pour moi. Mais avant que je puisse intervenir, des flèches se mettent à pleuvoir du ciel et viennent se planter dans la peau des gardes. Ils tombent et gisent sur le sol. Une horde de robots humanoïdes surgit de nulle part et prend Johon qui est touché lui aussi. J'essaie de me convaincre que ces robots sont bienveillants et qu'ils veulent le protéger.
Je sens les capteurs se décoller de mon crâne. Je reprends peu à peu mes esprits. Les personnes assises dans les tribunes me regardent avec attention. On dirait que chacun attend un signe d'approbation de ma part. Au bout d'une longue minute silencieuse, Noemy me demande d'une voix hésitante :
« Alors ... Quel est ton verdict ?
- Je ne sais pas quoi vous répondre.
- Tu es la présidente ! Tu dois décider ! Ta tâche est pourtant simple : tu dois choisir entre la sauvegarde de centaines de millions de personnes de ma communauté ou la préservation de vulgaires camps de sauvages ! interrompt Lady Herman.
- Non madame ! intervient Toma. La situation est beaucoup plus complexe que cela et vous avez dû vous en rendre compte. »
Et se tournant vers Lucie : « Chacun d'entre nous t'a montré un fragment de son histoire. Tu ne connaissais pas le monde extérieur mais tu as pu le découvrir grâce à nous. Tu connais la situation maintenant, tu connais la crise car tu l'as vécue. Cela valait mieux qu'un long discours, ne penses-tu pas ?
- Oui mais je ne sais toujours pas quoi vous répondre. Et pourquoi suis-je la seule à devoir décider du sort de tous ces pays ?
- Je sais bien que tu es troublée et je comprends tes hésitations. Dis-nous au moins ce que tu as compris. ».
J'évoque alors la menace que représente le super volcan pour les membres de la EHAS, leur projet qu'ils ont de migrer vers l'Amérique latine, les menaces qu'ils ont proférées à l'encontre de peuples plus faibles qui vivent là-bas. Je me tourne alors vers Lady Herman et avec une conviction qui étonne autant les membres du conseil que moi-même, je déclare : « C'est une communauté bien différente de la vôtre, Lady Herman. Certes, elle n'est pas développée mais il n'y est question ni d'excès de pouvoir ni d'exploitation ».Voyant que les autres membres du conseil acquiescent, je redouble de confiance et continue ainsi mon discours en dénonçant le traitement réservé aux plus faibles et l'esclavage qui semble perdurer dans certaines parties du monde. Puis je mentionne le message de détresse envoyé par l'homme du camp à l'empereur du Grand Continent avant d'en venir à la décision qu'a prise celui-ci. « J'ai vu l'empereur et j'en ai déduit qu'il ne pouvait pas prendre seul une décision. Et c'est pour ça que c'est à vous, Toma qui êtes son porte-parole, qu'il a donné l'ordre de nous réunir aujourd'hui pour tenir cette réunion de crise. Enfin, et je pense que vous l'avez compris, je m'oppose à ces monarques aussi puissants soient-ils qui prennent des pauses de penseurs et je soutiens les régions qui, comme le premier lieu que j'ai visité lors de mon voyage, ont su réinventer leur société et éviter de reproduire les erreurs du passé, les erreurs de la quatrième guerre mondiale !
- Excellent ! s'exclame l'homme en jean qui était dans le camp en Amazonie.
- Lucie, avant que tu ne continues, je dois t'expliquer certaines choses, déclare Toma. Tout d'abord, ce sont les robots-espions de l'empereur qui ont enlevé Johon afin d'obtenir de lui des informations sur la partie éclipsée de sa civilisation. Ce sont ces mêmes informations que l'on t'a communiquées pendant ton voyage. Johon est venu en qualité de témoin à cette réunion de crise et le deuxième témoin, comme tu l'as compris, est Noemy. Elle appartient comme moi au régime du Grand Continent mais elle vit sur la côte pacifique, à l'opposé du pays qui constituait la deuxième étape de ton voyage, et que vous, Dysitaniens, appelez « l'ancienne Russie ». Maintenant nous attendons ton jugement. Tu peux prendre ton temps car on sait tous que c'est un choix difficile ; il engage l'avenir de l'humanité...
- J'ai encore d'autres questions Toma ! Pourquoi est-ce à moi de rendre le jugement et de départager ? Je suis humaine, je peux commettre une erreur. Vous connaissez l'existence de Lindia, je suppose, sans quoi vous ne seriez pas ici. C'est à cette intelligence artificielle si bienveillante, qui maintient une paix profonde dans la société, que revient cette décision, certainement pas à moi.
- Cette machine a été conçue par des humains, proclame l'homme en jean. Si l'on suit ton raisonnement, elle n'est pas parfaite non plus. Et puis elle a été programmée dans le but de protéger la Dysitanie, son jugement n'ira donc qu'en faveur de votre civilisation. Or nous voulons un jugement émis par une personne plus ouverte, désintéressée, jeune mais instruite.
- Comme vous l'avez précisé ma décision va bouleverser le monde. Pourquoi devrais-je prendre en charge une telle responsabilité ? En Dysitanie, on ne demande jamais l'avis d'un citoyen pour un choix politique et personne n'y trouve à redire. La loi, l'unique loi que l'on respecte est celle de Lindia et je n'entends obéir qu'à elle, elle seule !
- Est-ce là ton dernier mot ? me demande Toma en changeant soudain l'expression de son visage. Les autres ont pris parti soit pour le Peuple libre soit pour Lady Herman...
- Pardon ? Les autres ? Je ne comprends pas. Je ne suis pas les autres. Je suis Lucie Edwhid, individu n° 40 234 560, citoyenne de la Dysitanie, fidèle à Lindia et j'ai rendu mon jugement ! ».
A ces mots, les silhouettes des membres du conseil se figent puis disparaissent dans les airs. Je hurle, je me débats puis retrouve mon calme. Je respire et tente de comprendre ce qu'il se passe, ce qu'il s'est passé. S'agissait-t-il d'hologrammes ? Etait-ce un piège depuis le début ? Je sens une chaleur m'envahir. Je touche ma nuque ; elle est brûlante. La puce est en surchauffe. Une voix résonne alors dans ma tête : « Vous venez de passer le « Test » avec succès, individu n° 40 234 560. Vous avez prouvé votre obéissance et votre fidélité à Lindia. Félicitations, nous vous utiliserons comme modèle pour notre système de clonage ».
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L'harmonie ou l'humanité
Science FictionNous sommes à Paris en 2452. Qu'est devenu le monde ? Cela, même Lucie Edwid, une jeune fille de quinze ans l'ignore. La seule chose qu'elle connait est la Dysitanie, l'état qui occupe une grande partie de l'Europe actuelle, ainsi que Lindia, l'IA q...