Partie 2

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23h52. Je tiens fermement la tasse vide dans mes mains et regarde fixement Notre-Dame par la fenêtre. La cathédrale est magnifique. Elle a été construite il y a quarante ans pour remplacer l'originale qui tombait en ruines. Elle n'est pas authentique certes, mais elle est parfaitement identique.

Je regarde autour de moi : le café est plus silencieux. Il ne reste plus grand monde. Je regarde à nouveau par la fenêtre : la foule dehors est agitée. Minuit approche. Il est temps pour moi d'y aller. Je programme ma montre pour qu'elle chauffe ma combinaison et sors du café. Je traverse la rue en direction de l'immense bâtiment où le rendez-vous a été fixé. Je me faufile à travers la foule sans perdre des yeux le BV 432 situé dans la rue 18. C'est une rue calme et sombre, presque inquiétante, dans laquelle il n'y a que des bureaux. J'avance jusqu'au bout de la rue et me retrouve face à un gigantesque dôme en métal, le dôme du bâtiment BV432. Je regarde derrière moi et hésite à faire demi-tour. Ah et puis non ! Allons-y !

Je sonne à l'interphone. A la troisième sonnerie, une lumière vive émane du boitier et m'éclate au visage. Éblouie, je me tourne vers la porte blindée du bâtiment et aperçois un robot-caméra chargé de la reconnaissance faciale. La porte s'ouvre, de bas en haut, laissant apparaître au loin la silhouette d'un homme. Sans me parler, celui-ci me fait signe de rentrer. J'hésite à nouveau mais après tout, que peut-il m'arriver ? On n'a jamais connu lieu plus sûr que la Dysitanie !

J'entends la porte se refermer violemment derrière moi. Je respire un grand coup : maintenant aucune marche arrière n'est possible. La salle est immense et lumineuse. Au milieu, se dressent des tribunes où se tiennent quatre personnes, silencieuses. On dirait qu'elles m'attendent. Mais pour quelle raison ? Je l'ignore. L'homme que j'ai vu dans l'entrée me dit avec un ton chaleureux : « Bonne année et bienvenue parmi nous Lucie ! Je me présente : Toma Scolovf, porte-parole de l'empereur du Grand Continent. Tu peux m'appeler Toma. J'imagine que tu te demandes la raison pour laquelle tu as été convoquée. Laisse-moi t'expliquer. Nous sommes aujourd'hui rassemblés pour une réunion de crise et tu as été désignée pour présider cette réunion. Il s'agit de régler un grave conflit qui pourrait mener à une crise mondiale. » Je le regarde, étonnée. Comment ça ? Une crise mondiale ? Mais la Dysitanie n'est-elle pas le seul pays qui existe encore sur cette planète ? Y aurait-il d'autres empires, d'autres nations dont j'ignore l'existence? C'est impossible ! Les autres pays ont été détruits lors de la quatrième guerre mondiale en 2309...

Je m'apprête à rétorquer mais je ne trouve pas les mots. Soudain, une voix off retentit :

« Lucie Edwid est priée de s'asseoir dans le siège numéro cinq. ». J'obéis, un peu déboussolée.

Les autres personnes dans les tribunes me dévisagent ; je fais de même. La femme située à ma gauche a le crâne rasé, elle m'intimide. Elle a une peau extrêmement pâle et des yeux d'un bleu qui vous glace le sang. Sous son air strict et froid, elle est très distinguée : elle porte une robe bleu marine et un manteau blanc. Le bracelet qu'elle porte à la main droite retient mon attention. On dirait un projecteur holographique, véritable bijou de technologie, mais c'est un modèle que je ne connais pas. A côté d'elle, il y a une jeune femme rayonnante. Elle porte un kimono noir avec des motifs fleuris de toutes les couleurs. Ses longs cheveux lisses, d'un noir intense, descendent jusque dans le bas de son dos. Son style ancien me fait penser à la tenue traditionnelle des Asiatiques de l'époque pré-digitale. L'homme, assis à ma droite, me surprend encore plus que les autres. En réalité, il me dégoûte. Une barbe brune enveloppe la moitié de son visage et ses cheveux mi-longs ne sont pas coiffés. Il porte un tee-shirt, vêtement appartenant aux temps antiques et que je croyais aboli depuis longtemps. Le sien est usé et sale.

Je ne parle même pas de son horrible pantalon, un jean qui date du début de l'époque digitale. La dernière fois que j'en ai vu un, c'était dans un musée... ! Enfin, quelques mètres derrière cet homme, se trouve un métis d'une dizaine d'années. Il porte une combinaison blanche et balaye la salle du regard ; un regard vif et apeuré. Il est recroquevillé. Il tremble. Que lui est-il arrivé ?

Je me lève et tente de m'approcher de lui. « N'ai pas peur, je ne te ferai aucun mal », dis-je calmement. Malgré ces paroles, à chaque pas que je fais vers lui, il recule puis finit par descendre des tribunes pour aller se réfugier dans un coin de la salle. « Laisse-ça ; cette chose ne comprend pas ta langue », me lance la femme au crâne rasé, avant d'ajouter d'un ton ferme : « Ce n'est qu'un esclave ». Ce dernier mot me laisse bouche bée. Parler d'esclavage ? A notre époque ? Il est censé avoir été aboli il y a plus de quatre cents ans ! Et comment pourrait- on considérer un enfant si innocent comme un objet ? Nous sommes tous égaux ! Tous frères !

Lindia ne permet pas ce genre de comportement au sein de la Dysitanie ! Je veux rétorquer mais avant de pouvoir dire quoi que ce soit, Toma Scolovf intervient :

« Ne te préoccupe donc pas des propos de Lady Herman. Nous venons tous de régions différentes et nous n'avons ni la même culture ni la même façon de penser, à l'exception de ce jeune garçon, Johon, et de Lady Herman qui viennent tous les deux de l'Evolved Hierarchical American Society. Je suppose que tu n'en as jamais entendu parler, n'est-ce pas ?

- En effet.

- Je vais tout t'expliquer mais avant ça, laisse-moi m'occuper de Johon. »

Sur ces mots, Toma s'approche de l'enfant et lui murmure quelque chose à l'oreille. Je ne comprends pas tout. On dirait un dérivé de l'anglais, une langue peu parlée en Dysitanie, contrairement au français, à l'espagnol ou encore à la nouvelle langue germanique qui sont les langues officielles de notre gouvernement. Johon a l'air d'être rassuré mais ne dit rien pour autant. Toma se tourne vers moi et me fait signe d'aller me rasseoir. Un petit humanoïde dont je n'avais pas remarqué la présence surgit derrière lui, s'avance vers moi avant de s'arrêter net. Ses bras mécaniques s'allongent et sans que je n'y prenne garde ou que je puisse me défendre, il place des capteurs à électrodes sur ma tête. Je me débats, essaie de m'en débarrasser mais je n'y arrive pas. Troublée, je cherche Toma du regard. Il me fait comprendre que je n'ai pas de raison de m'inquiéter et, se redressant, il se tourne vers le reste des personnes assises dans les tribunes : « Chers confrères du monde, je déclare l'assemblée ouverte. ». Ma vision se trouble, ma respiration ralentit. J'ai l'impression que je vais m'évanouir. J'entends au loin la voix indignée de la femme au crâne rasé : « Cette jeune fille va être complètement perdue ! ». Puis plus rien. Le noir complet.

L'harmonie ou l'humanitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant