Le viel homme

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Thème 1

Texte by IsabelleRioux5

Le vieil homme se balance dans sa chaise à bascule. Le son répétitif de ses pieds cognant sur les planches de bois résonne à ses oreilles. Il est protégé du soleil et du vent par le toit du porche. Des oiseaux se posent près de lui sur la rampe donnant sur le stationnement devant la maison en poussant de petits cris.

Il regarde une carriole passer avec amertume. Celui-ci souhaite pouvoir en conduire de nouveau, mais il ne peut pas, car il s'est blessé à la ferme. Tout ça parce qu'un taureau lui a donné un coup de sabot qui l'empêche de marcher. Dorénavant, ses jambes flasques et amaigries ne le soutiennent plus.

Il pousse un soupir de rage contenue, frappe du poing sur sa cuisse droite et reprend de plus belle ses balancements.

Le pauvre n'a jamais appris à lire, n'ayant pas été à l'école, il ne peut donc pas passer son temps ainsi. Les seules activités qu'il aime consistent à regarder le paysage et tailler le bois.

Effectivement, dans un sac de cuir près de lui se trouvent des blocs en pin, des figurines et des couteaux. Avec minutie et dextérité, il peut sculpter des heures. Il se saisit d'un bloc et commence à créer un cheval pour arrêter immédiatement. Il n'a pas le moral.

Il mâchouille intensément de la gomme d'épinette que Joséphine lui a apportée. Celle-ci, d'une grande résilience, s'occupe de lui par amour.

Le vieux passe une main sur sa longue barbe constellée de fils blancs et regarde les enfants jouer dans le foin qui a été fauché de l'autre côté du chemin de terre. Des hommes et des femmes coupent sans relâche le blé un peu plus haut dans la montée.

Les petits crient et rient en sautant dans des buttes qui embaument l'air de leurs doux parfums.

Un faible sourire se dessine sur son visage, il aurait tant voulu que son épouse puisse porter la vie, mais ce ne fut pas le cas, au grand dam du curé de la paroisse. Il crache dans un pot posé près de lui, maussade.

Une bourrasque apporte les odeurs de soupe à l'orge en provenance de la cuisine d'été par les fenêtres ouvertes. Ses papilles gustatives le font saliver même si l'heure du repas n'est pas encore proche.

— Alphonse ? Je vais au jardin quelques minutes, lance Joséphine de l'intérieur.

Il entend la porte arrière de la maison se refermer derrière elle dans un claquement.

Face à lui, dans le champ, un des enfants monte sur une botte de foin et tombe en perdant l'équilibre. Aussitôt, des cris et des pleurs s'élèvent.

Mortifié, il regarde la scène impuissant.

Les larmes et les plaintes continuent. Aucun des petits n'est en âge de savoir quoi faire et malheureusement, les parents sont trop loin dans la pente.

Le vieil homme prend peur.

— Venez ici, crie-t-il avec vigueur.

Ceux-ci ne prêtent pas attention à lui.

Poussé par l'adrénaline, il se laisse glisser au sol et se traîne tant bien que mal. Ses muscles sont forts grâce aux années de durs labeurs. Les cailloux picorent ses mains calleuses et racornies sans entamer sa peau.

À une vitesse impressionnante malgré son infirmité, il traverse la route rocailleuse, souffle et se hisse dans le champ. Le foin érafle ses bras hâlés et tache sa chemise blanche. Il s'approche des jeunes toujours en panique et voit le blessé étendu sur le sol.

Dans un calme olympien, il place sa paume sur le front de l'enfant sur lequel il remarque une trace rouge.

Le torse du petit se baisse et se soulève à un rythme régulier. Il ne semble pas avoir quoi que ce soit de cassé.

— Ne vous inquiétez pas, il a seulement eu un coup à la tête. Il va devoir se reposer.

Alphonse regarde le plus grand des cinq avec insistance.

— Va dans ma maison chercher un linge humide et reviens avec Joséphine. Elle doit être dans la cuisine maintenant, sinon elle est dans le jardin derrière.

Le jeune en salopette bleu s'exécute sans tarder et réapparait rapidement en ramenant l'épouse de l'homme. Celle-ci court aussi vite qu'elle le peut dans sa robe d'été recouverte d'un tablier vert. Ses cheveux brun et gris bougent au gré du vent.

Dans un geste tendre, elle place une serviette froide sur le front du blessé et la passe ensuite doucement sur son visage. Un sourire maternel efface quelques instants les rides de Joséphine.

Ses yeux papillonnent presque aussitôt au grand soulagement du couple.

— Tu t'es fait une vilaine bosse. Venez chez nous pour vous reposer.

Joséphine soulève le petit dans ses bras et marche vers sa demeure, accompagnée des enfants et du vieil homme qui se traîne au sol.

Une jeune fille ouvre la porte d'entrée. Puis, Joséphine les installe tous à table et leur sert une collation bien méritée, composée de biscuits et de lait.

Les joues d'abord blanches de l'accidenté reprennent vite une couleur rosée et ses yeux redeviennent pétillants de vie.

Les bouches de la marmaille affichent une moustache laiteuse ce qui a pour effet de créer des rires de joies qui emplissent la maison du couple soudainement heureux.

Les enfants retournent au champ après s'être reposés un moment en écoutant quelques chansons du vieil homme et jouent avec leurs nouvelles figurines qu'Alphonse leur a offertes.

Leurs parents viennent les chercher pour le repas du midi et de loin, Alphonse voit les petits faire des signes de la main à son adresse.

Alphonse se balance de nouveau en rythme dans sa chaise à bascule dehors. Il sait que les jeunes s'arrêteront de temps à autre pour une collation et pour entendre quelques chants joyeux. Fier de lui, il comprend maintenant qu'il peut encore être utile malgré tout. Il saisit son bloc de pin et un couteau.

Le son répétitif de ses pieds cognant sur les planches de bois résonne à ses oreilles. Il sourit.

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