Avancer

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Alors j'ai sorti mon téléphone de ma poche et j'ai enfin osé composer le numéro que je connaissais par cœur, depuis un an exactement. Mais j'avais tellement peur. Je me sentais comme en fraude. Je n'avais pas le droit de faire ça. Elle avait déjà suffisamment souffert par le passé. Je devais lui laisser une chance de repartir à zéro. C'était la moindre des choses... Cette histoire était bien trop difficile à supporter. Je voulais juste... Qu'est-ce que je voulais vraiment ? Je me questionnais. Qu'est-ce que je voulais en appelant cette fille ? Je voulais... je voulais... retrouver une sorte de paix intérieure. J'étais incapable de sortir de ma tête ces images. Elle, en pleurs, en souffrance, elle, qui avait peur. Je voulais l'appeler pour essayer d'oublier. Et elle ? Que ressentirait-elle en entendant ma voix ? Moi, qu'elle devait craindre et haïr.

J'étais égoïste. J'étais lâche. Je ne pensais qu'à moi en faisant cela. Elle souffrirait à nouveau parce que je voulais me sentir mieux.

Un frisson me parcourut. J'avais trop peur. Peur de sa réaction, peur de me tromper, peur de peut-être lui faire encore plus de mal. C'était trop dur, trop lourd à porter. Je le savais, seul je ne tiendrais pas. Mais seul, je l'étais depuis longtemps déjà. Je m'étais coupé moi-même de tous sans m'en apercevoir. Mon comportement m'avait isolé, enfermé.

Je ne savais pas ce qu'elle était devenue après cela. Elle était partie. Dans une autre ville, assez loin d'ici, j'avais changé d'établissement. Ses comptes sur les réseaux sociaux avaient été supprimés, son numéro de téléphone remplacé, bref, elle avait disparu de la circulation.

Jusqu'à ce jour où par hasard j'avais entendu ses anciennes amies échanger son numéro de téléphone. Je l'avais noté. Je n'aurais pas dû... Mais voilà, j'étais égoïste et je voulais me libérer de ce fardeau. Voilà un an que je le connaissais par cœur et qu'il tournait en boucle dans ma tête. Jamais je n'avais osé appeler. Je ne sais pas pourquoi...Si, je sais. Par peur. Et la peur nous empêche d'avancer.

Je pensais et ruminais encore, sans cesse. Pourquoi avais-je fait de telles choses ?! Jamais, jamais elle ne m'avait fait quoi que ce soit. Elle n'avait rien demandé. Personne ne méritait de telles choses. Pourquoi ? Pourquoi elle ? Pourquoi avais-je fait cela ? J'avais tellement essayé d'oublier que les origines de toute cette histoire étaient devenues trop floues, obscures. Rien, je ne me souvenais de rien. De quoi était-ce parti ? Elle n'avait rien demandé mais je l'avais "choisie". Elle était psychologiquement plus fragile, plus sensible que les autres. Une cible facile. Je me sentais si fort à l'époque. Tout ça pour quoi ? Pour avoir l'impression d'exister, d'être quelqu'un. Jamais je n'avais réfléchi aux conséquences de mes actes. Sur elle, sur sa confiance en elle et sa joie de vivre, sur notre entourage, sur moi et mon avenir. Ecorchés. Je nous avais écorchés. Nous étions tous irrémédiablement marqués.

Aujourd'hui je me rendais enfin compte à quel point j'étais misérable. Cette histoire me collait à la peau, m'étouffait de l'intérieur. L'idée de la contacter me faisait autant souffrir que de ne pas le faire. Et pourtant je l'appelais. Trop tard, je ne pouvais plus reculer. La sonnerie retentissait. Le téléphone collé à mon oreille, j'attendais avec appréhension. Chaque seconde durait des heures. Chaque seconde je me crispais un peu plus, l'étreinte de ma main se resserrant autour de l'appareil. Au fond de moi, loin, loin enfoui dans ma tête, je priais pour que ce soit le mauvais numéro. Je ne voulais pas l'admettre mais j'avais peur ; peur du passé, peur de l'avenir et peur d'elle. C'était drôle, désormais, l'ombre de la souris chassait le chat. Qu'était-elle devenue ? Cela m'angoissait. Je l'avais dit, j'étais lâche et égoïste. Je ne voulais pas subir ce qu'elle avait subi et je ne voulais pas vivre avec le poids de mes méfaits. Alors je me retrouvais pendu à ces bip sonores et frustrants. Répondra ? Ne répondra pas ? Criera ? Ne criera pas ? Mille et une questions se bousculaient dans ma tête. Que ferait-elle ? Et que devais-je dire moi ?! Trop tard. Pour une fois, je ne voulais pas être lâche, parce que je regrettais tout cela. Je regrettais chacun de mes gestes, chacun de mes rires moqueurs. Chaque pensée méchante que j'avais eue à son égard s'ajoutait au poids posé sur mes épaules. Je n'en pouvais plus de tout cela... Il était temps pour moi de regarder les choses en face, j'avais mis à mal ma vie et la sienne. Ces choses-là ne s'oubliaient pas si facilement. Je ne pouvais plus rien y faire. Juste regretter en silence, seul, dans mon coin. Me rendre compte de l'ampleur des choses que j'avais dites et faites. Trop tard. Demander pardon, et après... ?

Et soudain, la sonnerie s'arrêta laissant place à un silence. Quelqu'un avait décroché. Stressé, je me précipitais et tout ce que je trouvais à dire était un simple : « Allo ? ». Je me sentais encore plus stupide que je ne le pensais. J'avais la voix éraillée, la gorge nouée, le ventre serré. Je ne savais pas quoi faire. Ni quoi dire. Et si, et si... je me demandais sans arrêt. Je ne savais pas comment répondre à chaque scénario que j'imaginais dans ma pauvre tête. Qu'allait-elle dire ? Que devais-je faire ? Je n'en avais aucune idée. Sa réponse, je l'attendais avec tant d'anxiété que j'en avais les phalanges presque blanches malgré le vent froid qui tentait de les rougir. Mes mains tremblaient de peur. Un frisson me traversa.

De l'autre côté de l'appareil, j'entendis « Allo ? ». Mon cœur fit un bond dans ma cage thoracique, mon ventre et ma gorge se nouèrent plus encore. Cette voix je la reconnaîtrai entre mille malgré le changement perceptible de sa tonalité, de sa mélodie et... Qu'est-ce qui avait changé ? Ce... cette joie que je ressentais dans sa voix, dans ce simple mot... Jamais je ne l'avais entendue si gaie. Lorsqu'elle me répondait avant, quand je l'y obligeais, c'était toujours avec une voix triste, remplie de crainte. Et maintenant... Étais-je jaloux ? Jaloux de son bonheur ? Moi qui vivais dans l'ombre de ce noir passé. Elle avait l'air mieux. Moi je ne l'étais pas. Le soleil brillant dans le ciel m'éblouissait. Je fermais les yeux et ressentais plus encore mon cœur battre la chamade. Je tendais mon cou pour mieux sentir la chaleur de l'astre doré. J'espérais qu'elle allait reconnaître ma voix. Ou peut-être ne valait-il mieux pas ? J'inspirais un grand coup et me lançait :

« C'est moi... Je... je voulais... Je voulais m'excuser pour tout ce qui est arrivé... Pour tout ce que j'ai fait... Je... Je suis désolé...Je te demande pardon ».

Je m'en voulais. Sincèrement. Je n'aurais pas dû agir ainsi et je le savais, cela allait peser sur mon cœur tout le long de ma vie. C'était seulement maintenant, en osant l'appeler que je me rendais compte de l'ampleur de mes actes. Et c'était terrible. Mais plus terrible encore, ce qu'elle répondit, à l'autre bout du téléphone, me transperça le cœur. Elle m'avait reconnu bien sûr. Comment oublier la voix de son harceleur ?

C'était tellement simple de faire mal, si dur de s'excuser et sûrement encore plus dur de pardonner. « Je voulais m'excuser parce que je m'en veux. Et... je voulais savoir.... si toi, tu avais pu oublier. Je suis désolé... Peux-tu me pardonner ? ».

Je devais avoir l'air stupide à dire ça. C'était idiot, comment pouvait-on tourner la page aussi simplement ? Comment pouvait-on pardonner ?

Je rangeais mon téléphone dans ma poche et avançais dans la rue vide, le soleil brûlant mon visage, les larmes coulant le long de mes joues.

J'avais compris. Je m'en voulais toujours autant mais il fallait que j'avance. Il était temps que je prenne mon élan pour, comme elle venait de me le dire et comme elle l'avait fait, tourner la page, me reconstruire une vie et avancer à nouveau.

ÉtincelleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant