École Buissonnière

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Hello et bienvenu.e dans ce chapitre trois de Fuck It. Ça se transforme en voyage à la recherche de soi-même mais promis c'est toujours romantique et mims pour l'instant. Bonne lecture <3

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Chapitre Trois : Le Vent Frais du Matin

Elles ont décidé de partir un matin, au lieu d'aller en cours. Ça c'est passé comme ça entre le très réfléchi et le coup de tête, un sac à dos ou de sport sur le dos contenant quelques vêtements, un objet inutile mais indispensable à la fois, le peu d'économies qu'elles ont et des vivres volées à leurs parents. Elles fuient un quotidien sombre et pourri vers un monde qui leur semble moins gris. Du moins c'est ce qu'elles espèrent. Les lumières de la ville s'éteignent au fur et à mesure que le soleil grandit, faisant s'effriter leurs ombres derrière elles avant que la nuit ne se fracasse contre le jour. Main dans la main, elles hument le vent frais du matin. Les routes encore nocturnes ne leur offrent que deux voitures silencieuses, les roues maltraitant le goudron et le bitume. Comme j'aime te voir dans cette lumière c'est vraiment magnifique. Mae embrasse Violet sur ces routes aux destinations inconnues. Tout leur paraît à portée de main, désormais. La mort de Sen, l'indifférence totale des parents de Violet depuis son coming-out semblent loin derrière elles. C'est une fuite pour leur survie, hors de la torpeur violente de leur quotidien, hors du temps qui les consume et contre lequel, pourtant, elles ne peuvent rien faire d'autre que se laisser confiner par lui, doucement, dans une acceptation douloureuse comme celle du deuil que Mae est incapable de faire. Elles sont dehors à marcher sur les petites routes nationales qui mènent à leur bled paumé. Peu de voitures passent. Mae pointent du doigt une maison avec des vélos en bordure, mal rangé, dans un jardin tout aussi mal entretenu.

« Tu veux les voler ? »

Mae hausse les épaules. Et pourquoi pas. Ce n'est pas du vol, juste un emprunt légitime. Violet sourit, enjambe le petit portait blanc de la maison et s'empare d'un des deux vélos puis s'enfuit rapidement, la main de Mae revenue dans la sienne et elles se hissent sur la selle du vélo dans un équilibre instable pendant un court instant, Violet au volant et Mae qui s'accroche à sa taille fine, ses cheveux colorés frappant son visage gentiment.

« C'était drôle ! »

Oui, c'était assez drôle pense Mae. Elle n'ose pas le dire en langue des signes mais l'idée de confirmer les paroles de Violet est là, bien présente dans les battements de son cœur dans les actions de ses muscles qui lui permettent de lui sourire. À chacun des mouvements des jambes de Violet, Mae observe le monde d'un œil nouveau. Sois pas conne déconne pas surtout pas sinon on sera définitivement perdue avec nous-même c'est trop flippant, on peut pas flipper maintenant, alors on assume de fuir, on est fière de fuir, sinon tout ça, ça sert à rien.

Au fur et à mesure que Violet pédale, les traces de leur ville s'effacent à toute vitesse sur l'autoroute des nouvelles gloires et des déchéances passées. Mae colle sa tête dans son dos. Elle pense à cette idée de fugue saugrenue, à rechercher sa tête qu'elle a déjà perdue dans les abysses sombres du passé. Mae a du mal à se figurer l'instant présent, elle pense le futur uniquement au conditionnel et se fige dans son passé, et surtout celui des autres, pour se définir. Sen devient ainsi une marque indélébile, tracée sous la peau, qui pond des œufs de souffrance, de regrets et de mélasse noirâtre. Mais tout renait lorsque Violet lui sourit. Il y a une certaine forme unique de sa personne à exister, à être ici, une façon que Mae n'avait jamais vu jusqu'alors. C'est drôle sans l'être. Au fond, c'est juste une idée prête à se noyer dans la mer des métamorphoses insensées qu'elle traverse depuis le suicide de Sen. Elle n'avait pas laissé de lettre ni de petits mots. On est sensé le faire pourtant. Sinon, les vivants n'ont pas de réponse. Et ça ne sert à rien hormis infligé de la souffrance gratuite à ceux qui restent. Parmi tous les choix de possibilités de la vie, pourquoi Sen a choisi la mort ? Mae enfouit sa tête encore plus dans le tissu du manteau de Violet, pour ne pas qu'on la voit pleurer, qu'on la sente pleurer.

« Pleure pas. Ça va aller. Je suis là. On est ensemble. Ça ira. Tu verras. »

La voix de Violet fait l'effet d'un petit carillon très doux. Elle est un petit bout de rêve au milieu du cauchemar. Elles roulent jusqu'à une petite station service, dans un coin encore plus perdu que leur village de départ. Violet et Mae descendent du vélo et le trainent jusqu'au petit parking. Elles s'assoient sur le petit rebord en face de l'entrée de la supérette de la station. Mae réfléchit, sort une barre de céréales de son petit sac de sport. Le patron de la supérette les regarde, l'air méfiant. Violet a sorti son portable et ses écouteurs ; elle en tend un à Mae qui rebranche son appareil auditif pour pouvoir entendre la musique blues et jazz que Violet aime tant. Parfois, elle se dit qu'elle apprécie être sourde et couper le bruit du monde quand elle le veut. D'autre fois, elle pense qu'elle perd une part infime de ce monde si grand et complexe. Je ne suis pas une goutte dans l'océan, je suis moi-même l'océan. Chaque jour s'ouvrir au monde. S'ouvrir au monde. Je suis l'océan. Je suis l'océan.

FUCK ITWhere stories live. Discover now