Le réceptionniste

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Un homme vit dans une immense ville. De neuf heures du matin à neuf heures du soir, six jours sur sept, il travaille au titre d'employé à la réception dans une banque d'affaires. Une gigantesque tour de verre, surplombant le centre-ville.

Il ne mesure pas grand-chose derrière sa vitre, parfois on l'oublie, où on le confond avec un autre dans la rue. Son quintal et ses frêles épaules, voilà tout ce qu'il supporte. Attablées sur comptoir, elles s'échinent à compter, recompter et décompter billets, chèques et sociétaires. Aux coups de midi, il ingurgite un sandwich à la viande fade et au pain farineux, durant un temps imparti de trente minutes et exactement zéro seconde de plus.

Ensuite, il reprend ses activités de fourmi.

Après sa journée de labeur, l'employé rentre chez lui, accompagné par un mal de crâne sur son chemin pédestre. Le brouhaha permanent de la foule n'aide pas. Il enfile des Boules Quies ainsi qu'un masque à oxygène, contre cette pollution qui a emporté son père d'un cancer des poumons vers cinquante-huit ans. Toute sa vie, il avait bossé à la campagne et ensuite à l'usine. Toute sa vie, il avait cotisé, économisé, mis de côté pour une retraite dont il a profité six mois. On s'extirpe d'un trou pour finir dans un autre, on s'échine, on crève. Telle est la voie pour l'Humanité. Pas de repos pour les braves, pas de répit pour les petits.

Le réceptionniste vivote dans un minuscule appartement, niché parmi deux mille cinq cents autres où chacun partage ses moments intimes. Il retrouve sa femme,avachie dans le canapé, qui change elles différentes chaînes d'informations en tenant mollement sa télécommande aux touches graisseuses et salées.

Son autre main s'accapare des chips aux crevettes et de calamar.

Naturellement, elle ne bosse pas, contrairement à son estomac et son foie.

L'homme demande comment elle va.

« Hm » souffle-t-elle, sans détourner les yeux de l'écran plat en résolution ULTRA HD, diagonale de cent-cinquante centimètres.

- Qu'est-ce que tu as fait aujourd'hui ?

- Les courses.

- Je vois.

- Quoi ? Je suis fatiguée.

- Et moi je suis en pleine forme après neuf heures de travail...

- Ça n'a rien de compliqué. Moi aussi je sais compter.

- Alors dans ce cas,tu as avalé combien de chips ?

La femme balance un geste grossier avec son majeur.

L'homme part dans la salle de bains, en compagnie d'un léger sourire sur ses fines lèvres.

Il prépare une serviette et entre dans sa douche aux parois teintées de calcaire.

L'eau chaude lui procure une sensation délicieuse,revigorante. Elle lui fournit une bonne excuse pour prendre du plaisir.

Sous le cliquetis des gouttes qui couvrent ses frémissements de palpation.

Il fantasmait sur des jeunettes, aux petits seins durs, aux jambes galbées et à leur postérieur cambré.

Il avait maté tellement de vidéos pornographiques que sa mémoire possédait assez d'images pour rassasier mille pervers du siècle dernier qui se paluchaient avec leur imagination.

Son couple n'avait plus baisé depuis deux ans. Évidemment, la poule réclamait son coq.

Mais, le cœur n'y était plus. Le pénis et les couilles non plus.

Nouvelles des ruellesWhere stories live. Discover now