Chapitre 5A - La mèche 1/2

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Après mon vomi de la nuit, j'avais passé de nombreuses heures à dormir d'un sommeil de plomb. Si bien, qu'à mon réveil, tard dans la matinée, j'étais seul comme un con dans un grand lit vide ; Erik n'était plus à mes côtés. Pas de câlin matinal donc ! J'étais puni de ma beuverie. Il avait à faire et estimé que ma présence n'était pas requise pour la journée. Dans un sens, cela m'arrangeait ; je ne comprenais rien à la politique ni au monde des affaires, et les rencontres qu'il pouvait avoir dans ce contexte m'ennuyaient horriblement.

Les rares fois où j'avais assisté à des repas avec lui dans le cadre de son travail, j'avais eu l'impression d'être une nouille perdue au milieu d'un plateau de fruits de mer. Du coup, je compensais en m'empiffrant, pour tenter d'être plein comme une huître et ainsi pouvoir me fondre dans le décor. Mais cela faisait vraiment mauvais genre lorsque je laissais échapper un malencontreux rot de satiété devant un ministre ou un PDG.

Erik avait cependant tenu à ce que je l'accompagne le soir même à une réception huppée. Il allait y avoir de nombreuses personnalités, des politiciens, des gens influents, et donc d'éventuelles cibles à repérer pour ses projets. Nous avions convenu la veille de nous retrouver directement sur place, étant donné son planning chargé. Une heure précise avait été fixée, mais c'était sans compter mon indécision à pouvoir choisir quelle chemise me conviendrait le mieux pour briller en société. Entre la blanche, la noire ou la bleue, mon cœur balançait ! Il balançait tant et si bien, que je finis par arriver avec une heure de retard au rendez-vous. J'allais probablement me faire défoncer par Erik, et pas de la façon dont je l'aurais voulu, malheureusement.

C'est donc, timidement, que je fis mon entrée dans une grande salle de réception bondée de monde, vêtu de mon inséparable manteau noir entrouvert, d'un pantalon anthracite et d'une chemise blanche qui laissait apparaître le haut de ma musculature bronzée. Il fallait bien ça, s'il y avait moyen de dégoter une belle brune à se mettre sous la dent pour cette nuit.

Je le cherchai des yeux et finis par le trouver à l'écart de la foule en train de siroter un verre de champagne près du buffet, l'air visiblement songeur et contrarié. C'était sûr, j'allais me faire engueuler. Je devais donc trouver une excuse potable pour mon retard ou adopter un comportement adéquat, afin d'atténuer sa colère et ma sentence. Après réflexion et une bonne dose de courage, je décidai de me lancer.

— Erik ! Enfin, vous êtes là ! J'ai passé une bonne heure à vous chercher dans cette marée humaine ! Diable ! Où étiez-vous ?

Il me lança un regard noir. Je déglutis.

— Tu es en retard, mais je ne t'apprends rien, il me semble. J'allais rentrer... tu tombes bien.

— Ah ? répondis-je surpris par sa réaction en demi-teinte.

— Va sur la terrasse. Il y a quelqu'un qui s'y trouve. J'aimerais avoir ton avis à son sujet...

— Euh... oui, mais, comment je...

— Débrouille-toi ! Je t'attends sur le parking, répliqua-t-il en me laissant en plan.

Je n'aimais pas quand Erik était mystérieux et se défilait de la sorte, ça cachait toujours quelque chose de déplaisant ou qui était susceptible de me mettre mal à l'aise. Ce fut donc avec une certaine appréhension que je me dirigeai vers l'immense balcon. Tout en marchant, je retirai mon paquet de Marlboro de ma poche. Il fallait que je fume pour me déstresser. La tête baissée sur la cigarette que je venais d'allumer, j'étais à peine sorti sur la terrasse que je relevai le nez. Ce fut à cet instant, derrière un léger voile de fumée de nicotine, que je la vis.

Elle était assise sur un banc à quelques mètres de moi, m'apparaissant pleine de grâce et de pureté. Sa chevelure était blonde comme les blés et sa petite robe laissait entrevoir sa peau fine et veloutée. Je pouvais à peine distinguer son visage ; elle avait la tête penchée et le dos courbé. Elle semblait s'acharner sur une attelle en ferraille qui lui comprimait la jambe. Je balayai l'endroit, espérant trouver quelqu'un d'autre, mais il n'y avait qu'elle. C'était elle qu'Erik voulait que j'aborde. Pourquoi s'intéressait-il donc à cette jeune fille ? Il fallait que j'en aie le cœur net. De toute façon, j'avais une mission à accomplir.

En m'approchant, j'eus une vue imprenable sur son décolleté. Il paraissait ferme et juvénile. Quel âge pouvait-elle avoir ? La vingtaine ? Peut-être moins. Elle semblait au bout de sa vie, et prête à fondre en larmes, les mains si crispées sur le métal de son instrument de torture que ses doigts en étaient tout rouge.

— Je peux vous aider ? demandai-je, arrivé devant elle.

Elle releva soudain la tête et mon cœur tressauta pour la première fois de son existence. Son visage était angélique, et ses yeux d'un vert cristallin faisaient écho aux miens. Ses cheveux blonds retombaient en cascade sur ses épaules, tandis que d'autres venaient se réfugier sournoisement dans le creux si gourmand de sa poitrine. Elle ne répondit rien, et se contenta de rougir après avoir remarqué furtivement le triangle de peau qui apparaissait entre le col de ma chemise blanche.

J'esquissai un sourire en me disant que j'avais finalement eu raison de choisir cette couleur. Elle avait probablement été attirée par cette vision appétissante de ma peau hâlée qui faisait contraste. Je fis un pas pour m'accroupir à ses pieds, envisageant de desserrer son attelle.

— Fichtre ! C'est sacrément serré ! Quelle idée de porter un appareillage de ce genre ? m'écriai-je en voyant que sa jambe était comprimée au point de lui faire une marque à l'endroit où se trouvait l'acier.

— Allez dire ça à mon père ! rétorqua-t-elle d'un ton sec, avant d'ajouter : c'était son idée ! Pas la mienne !

Je souris de son agacement et levai la tête. Elle se troubla en croisant mon regard. Je baissai les yeux pour fixer à nouveau sa jambe, coinçai ma clope entre mes lèvres, puis portai mes mains sur les barres de l'attelle que je réussis à écarter sans trop de peine. Elle soupira de soulagement.

— Merci infiniment. Vous venez de me délivrer ! J'avais tellement mal que j'étais à deux doigts d'envisager de me couper la jambe ! s'écria-t-elle.

— Cela aurait été dommage ! répondis-je, après avoir récupéré ma cigarette pour la tenir entre mes doigts. Visiblement, votre père tenait beaucoup à ce que vous soyez présente et présentable à cette soirée, pour vous imposer un tel instrument de torture, ajoutai-je en me relevant.

— Je comprends mieux pourquoi, maintenant que je suis là ! Il a dit que j'étais bonne à marier, à tous les hommes riches et influents qui se trouvent ici ! Même à ceux qui ont plus de trois fois mon âge ! protesta-t-elle en soutenant mon regard tant bien que mal, probablement impressionnée par mon charme.

— Je n'ai pas eu cet honneur. Je ne suis ni riche ni influent. Remarquez... c'est préférable pour vous.

— Pourquoi dites-vous ça ? s'étonna-t-elle, intriguée.

Pourquoi lui avais-je dit ça ? Je ne le savais pas moi-même. C'était sorti tout seul, comme une diarrhée incontrôlable. J'avais tendance à dire de la merde quand j'étais troublé, et j'avais des raisons de l'être, d'autant plus, qu'elle rangea subitement l'une de ses mèches blondes derrière son oreille. Ce geste, pourtant anodin, me provoqua un douloureux pincement au cœur. Je vis le fantôme de ma mère dans l'ombre de cette jeune fille. J'avais mal. Il fallait que j'attaque l'objet de ma souffrance soudaine pour me protéger.

— Vous me semblez bien jeune... et peu expérimentée, vu que vous rougissez facilement lorsqu'on vous séduit du regard. Je n'ose imaginer quelle serait votre réaction, si j'étais votre époux et qu'il me venait à l'idée de vous prendre sauvagement en...

Je ne finis pas ma phrase en levrette, voyant que son visage avait brusquement changé d'expression pour afficher une mine déconfite. J'avais dépassé les bornes, mais malheureusement, je n'étais pas tant dans l'erreur. Je commençais à comprendre le but de ma mission pour Erik. Tout roi avait besoin d'une reine. Or le roi en question était loin d'être un saint. Face à cette horrible découverte, je souris des yeux, étant incapable de le faire avec mes lèvres, puis j'inclinai légèrement ma tête à la japonaise pour tirer ma révérence, moi qui étais pourtant Danois de corps et de cœur.

— Pardonnez-moi, mademoiselle, dis-je avec sincérité avant de tourner brusquement les talons pour marcher en direction de la porte-fenêtre restée ouverte.

Jecherchais à retourner à l'intérieur afin de fuir l'objet de mon trouble, maisaussi pour retrouver Erik qui m'attendait sur le parking. Il fallait que jesache ses véritables intentions, et si elles étaient conformes à mes craintes.

Swen, garde du corps [sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant