Chapitre 6 : Tolstoy
"S'il y a bien quelque chose que nous avons retenu, c'est que le nombre favorise la survie. Plus nous sommes nombreux, plus nous sommes fort. Nous avons tous un rôle à jouer ; le nôtre."
Arrivée au bout d'une heure et demie de marche, heureusement sans rencontrer de rodeurs, Heather n'en revient pas de ce qu'elle voit. Les rues sont désertes. Cependant, les immeubles intacts ainsi que le bruit qui s'en échappe indiquent qu'un nombre important de personnes vit ici. Seule, elle fait le tour d'un ancien croisement de rue où, au paravent, se trouvaient toutes sortes de commerces.
Un char croise le regard de la jeune fille et se dirige vers elle. Heather, incrédule, fronce ses sourcils lorsque l'immense transport de fer s'arrête à sa venue. Un homme sort sa tête par le toit tandis que l'orpheline demeure droite. Il lui demande sans ménagement en mâchant un cure-dent :
"T'as un problème, petite ?
-Je pense comme tout le monde, oui. Sinon… non.
-T'es toute seule ?" L'interroge le militaire.
Heather se remémore furtivement la dernière fois qu'un homme armé lui a posé cette question. Quand elle comprend ce qu'il attend d'elle, son cœur commence à lâcher alors qu'elle mâche les quelques mots qu'elle arrive à extirper de son esprit :
"Oh... Je... Ne…
-Cathy ? S'étonne une voix de femme dans son dos. Cathy !"
Quand elle se retourne, elle perçoit une jeune femme brune courir vers elle. Sa robe délavée et gâchée par les nombreux plis, la nouvelle venue lui prend brusquement le bras tandis qu'Heather reste bouche-bée.
"T'es contente de toi ? Reprend-t-elle en haussant sa voix. T'as fini de jouer maintenant ? T'aurais pu inquiéter les gardes !
-Inquiéter les gardes...? Balbutie-t-elle sans comprendre.
-Rentrons, achève sèchement son interlocutrice.
-Elle est à vous ? Demande le militaire.
-Cathy ? S'empresse de répondre l'inconnue en devançant la plus jeune. C'est ma sœur.
-Y'a un air de ressemblance, ironise l'homme en passant son regard du teint de porcelaine de la plus petite a celui mâte de son ainé.
-Ouais, notre père était du genre chaud-lapin… s'amuse-t-elle en passant son bras par-dessus l'épaule de la fille.
-Bon, faîtes plus attention. Ce serait dommage qu'il arrive quelque chose à une si belle femme."
Sur ces paroles outrecuidantes, l'homme armé remet sa tête à l'intérieur de la machine infernale et quitte les lieux déserts. La jeune femme lui tend un sourire forcé en restant accrochée à la jeune fille. Une fois de nouveau seule dans la nuit, l'inconnue se décroche d'Heather et dit d'une voix rude :
"Non mais ça ne va pas ! Errer dans la rue toute seule à ton âge ? Il faut vraiment être suicidaire ! Amènes-moi à ta mère.
-J'en ai pas, répond l'autre en évitant un nouveau contact.
-Oh... Alors ton père.
-Non plus.
-Tu dois bien avoir quelqu'un qui vit avec toi ! S'étonne-t-elle en la poussant légèrement vers l'avant pour l'inviter à marcher.
