Si vous êtes né anonyme, tachez de faire de belles rencontres !
Je suis née anonyme, dans un petit village du Couffo d'un père, enseignant de collège qui rêvait d'un fils aîné. Il était certainement déçu que mon entrejambe n'arbore qu'une fente d'où dépasse légèrement un petit bouton. Ma mère, jeune élève à l'époque avait enfreint les règles les plus importantes du code social : mère, si jeune, pfff, non mais quelle ratée ? Ma grand-mère heureusement était là pour rappeler que de leur code, elle n'avait rien à foutre. Cette femme reste (ra) à tout jamais mon modèle. Que je suis fière d'elle comme de toutes les autres qui portent fièrement leurs ovaires et leurs seins. Ne venez pas leur dire qu'elles ne sont que des petites choses fragiles qu'il faille protéger ! Ne leur dites surtout pas qu'il leur faut un homme pour être entières, elles se suffisent à elles-mêmes. Ma grand-mère est ma première belle rencontre, après ma mère, évidemment. J'en ai fait et continue d'en faire d'autres.
Mon baccalauréat et ma réussite au concours d'entrée à l'Ecole Nationale d'Administration et de Magistrature m'avaient propulsée dans le cercle des enfants de bonne famille. Ceux qui sont les fils et filles de quelqu'un. Vous savez, ceux qui disent juste leur nom et on arrive à les positionner dans la société.
Avec ou contre leur gré, nombre d'entre eux suivent les traces de leurs parents : futurs avocats, futurs magistrats, futurs financiers, futurs professeurs, futurs grands quelqu'un. Ils arrivent souvent dans cette école à titre dérogatoire ou par sponsoring. Et pourtant, ils sont plus nombreux que les boursiers : les fils d'anonymes à qui l'on offre la chance de jouer dans la cour des grands. Qui sait, parmi eux émergera certainement un anonyme qui deviendra à son tour un grand quelqu'un. J'y ai fait de belles rencontres : celle-ci reste l'une d'elles.
En me voyant donc, il était plié de rire. Il a été dépêché depuis la Belgique pour m'accueillir. J'avais beaucoup de chance. Ce n'était pas le cas de tout le monde. Nombreux sont ceux qui vous promettent de vous accueillir à l'aéroport mais qui au Jour-J font les morts. De ceux-là, je vous parlerai plus tard.
Mon ami a dû se plier en quatre pour me faire la bise, son éternel sourire étirait ses grandes lèvres lorsqu'il chuchote dans le creux de mon oreille : « mais Laetitia, qu'est ce qui tu as bien pu mettre dans tes valises ? Tu n'as pas besoin de tout ça, tu sais ? ». Il continue de rire quand il se redresse. Je commence à lui citer tout ce qui avait fait le voyage de la France et combien tout ceci était important. Il explose de rire quand au milieu de la liste, il entend « casserole ». « Tu sais qu'il y a des casseroles en France aussi ? »
Je ne le sais que trop bien, mais il fallait les acheter n'est-ce pas. Mon budget était si slim que je ne pouvais rien me permettre. Et puis ces casseroles, c'est la mère de mon copain de l'époque qui me les avait offertes. Il était hors de question que je m'en séparasse.
« Les chariots ne vont pas plus loin » annonce-t-il. Devant nous se dressent deux engins d'où apparaissent et disparaissent des marches.
J'étais paniquée. Je regarde subitement mes valises d'un mauvais œil.
Mon Dieu ! Mais comment se hisse-t-on sur ce machin ?
Devant mon désarroi, mon ami, une fois de plus plié de rire me demande d'y grimper sans bagages. J'hésite un instant, me donne du courage. Un homme m'évite et me regarde désormais du bas. Il a grimpé sur l'engin sans que je ne sache par quelle magie. Je ferme les yeux et saute légèrement, les deux pieds joints sur la machine. Mon ami rit. Je ne le prends pas mal.
Lors d'un voyage à Abidjan, je voulais faire le test sur l'un de ces machins roulants. Ce jour-là, l'engin était en panne. Ma première fois sera donc au pays du blanc.
Ignorant les règles de circulation sur des escaliers roulants – oui oui, il y des règles – je me suis plantée au milieu des marches. Je suis rapidement assommée de plusieurs « pardon » dont certains envoyés d'un air agacé. Quand j'arrive en bas des marches, mon ami m'apprend qu'il faut toujours se ranger à droite et laisser passer les autres.
Alors que je me plaquais contre la paroi pour ne pas perdre l'équilibre, je me suis demandé comment ces gens faisaient pour avancer aussi vite sur ce machin. C'est là que j'aperçois avec crainte la fin des marches. Vite, je me précipite pour éviter la chute. Dois-je rajouter qu'il était à nouveau plié de rire.
Il me laisse sur les quais de la gare et s'en retourne chercher la deuxième valise.
« Laetitia, elles sont infernales tes valises. Tu penses qu'il y a des choses que tu peux retirer ? »
Je réfléchis rapidement au contenu : kluiklui, gari, télibo, assrokouin, farine de maïs, tapioca, pullovers – à l'époque je disais encore pullover – tenues traditionnelles que je ne porterai jamais finalement, assiettes, fourchettes, cuillères, casseroles (les fameuses) etc. Rien, je ne vois rien que je puisse enlever. OK. Conclut-il. Ce n'est pas grave. »
Il n'a pas voulu me contrarier, il est ainsi. Nous n'avons d'ailleurs pas le temps de tergiverser :
Le train est entré en gare.
Je ne vois pas venir le train que j'ai toujours aperçu dans le journal sur TV5-Monde : ce train à bout pointu, propre et roulant très vite – le TGV. Non ! Je vois apparaître un train d'une époque forcément lointaine. Rien qu'au bruit qu'il produisait, je me suis demandé s'il nous conduirait à destination. Tout l'extérieur était couvert de dessins grossiers et l'intérieur sentait le chien. Mon ami me demande de m'installer au risque de faire une chute au démarrage.
Je le vois se concentrer sur les stations. Quelque chose l'intrigue : le billet indique, arrêt Magenta mais nous devions nous rendre à la gare Saint Lazare. Notre wagon était quasiment vide. Il veut s'informer auprès d'un passager se trouvant sur le quai. Le départ est imminent, le signal sonore retentit mais il sort quand même. C'est tout lui. J'ai un moment de panique. Et si le train le laissait sur les quais, que dois-je faire ? Je panique. Mon cœur se met à battre très vite, je me lève, une femme déboule de l'escalator, mon ami et lui se bousculent à la porte du train et atterrissent de justesse à l'intérieur. Le train démarre et je manque la chute. Je retombe sur mon siège tel un sac d'igname. Mais c'est quoi ce pays ? Je me poserai cette question des millions d'autres fois.