« Premier jour à Paris »

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Petit Yodé et l'enfant Siro l'ont chanté et ça nous fait tous rire. Ça fait encore plus rire ceux qui l'ont vécu. Premier jour à Paris !
Quelque immigré que tu sois, de longue date ou non, tu as eu ton premier jour à Paris.
Ce jour de septembre 2009, j'ai moi aussi eu mon « premier jour à Paris ».
Le commandant  annonce notre arrivée à l'aéroport Charles de Gaulle de Paris. Paris, rien qu'en entendant ce mot, mon corps entier est pris de frissons. Jusqu'au bout j'ai prié toutes les forces connues et inconnues, visibles et invisibles pour que cet « appareil volant imitant l'oiseau naturel » m'emmène à bon port. Ce serait con de s'écraser si près du but.
Je regarde par le hublot et aperçois une ville couverte de perles dorées et argentées. Elles scintillent, virevoltent légèrement, deviennent de plus en perceptibles à mesure que l'avion se rapprochait du sol. C'est si beau. C'est Paris, tout est forcément beau.
La descente de l'avion est une épreuve. Une aile après l'autre, le gros engin volant perdait de l'altitude. Au début, je n'avais pas compris le système. A chaque perte d'altitude, mon cœur s'arrêtait de battre. Je pensais même qu'il était tombé dans ma culotte à un moment. Autant il s'arrêtait par moment, autant j'avais l'impression de respirer de partout quand il se remettait à battre.
Six heures trente, la bête se pose enfin. 
Ici ce n'était pas comme à Cotonou. On ne vous transporte pas dans des bus. La bouche de l'avion est directement collée à celle de la bâtisse. On vous y déverse, avec le sourire : "au revoir Monsieur, au revoir Madame".
Hagarde, je traine ma petite valise des questions plein la tête : Mais c'est quel est ce lieu ? Qui a bien pu construire quelque chose d'aussi grand ? Et en combien d'années ?
Mademoiselle j'entends et ils étaient là devant moi, dans leurs tenues bleu marine. Je n'avais rien à me reprocher mais je sursautai tout de même. J'avais limite envie de faire la sourde oreille et de rebrousser chemin mais ils étaient bien là, plantés devant moi.
Votre passeport s'il vous plaît ! Je leur tends tout ce que j'avais dans mes mains : passeport, billet d'avion, carnet de vaccination... J'étais fébrile mais m'efforçais de garder l'air neutre. La fatigue m'avait davantage rapetissé les yeux ; ils n'étaient déjà pas grands. Ma voisine de vol s'était endormie tout au long du vol. Je n'en ai pas été capable. Elle était forcément une habituée des voyages. Elle était aussi Noire que moi mais sa voix était aussi claire que celle d'une Blanche. Une Bounty.
Elle ne m'a pas décroché un mot tout du long. J'avoue que notre premier contact n'a pas dû lui être agréable.
Elle n'avait pas apprécié que je lui réclamasse mon siège se trouvant coté-hublot qu'elle s'était approprié. Elle a voulu le vérifier par elle-même, je lui avais alors tendu mon billet. Elle avait fini par se résigner, profondément contrariée par cette villageoise avec son gros accent béninois. J'étais plutôt contente de moi, contente de ne pas m'être laissée faire. Je me suis installée, le regard vissé sur le hublot. Je voulais contempler ma vie bientôt derrière moi.  Ma famille, mes amis et mon ex-petit copain m'assaillaient de messages réconfortants. Chacun d'eux était une pointe d'aiguille enfoncée dans mon cœur. Chacun d'eux alimentait ces larmes qui venaient choir sur mes joues.
Mon billet m'avait coûté un peu moins cher : je savais désormais pourquoi : mon siège se trouvait à l'arrière de l'avion. Jusqu'alors, je ne suis préoccupée que par  ma désagréable voisine de siège. 
Nous allons décoller. Le commandant invite les passagers à s'attacher et là je découvre une autre épreuve : la ceinture de sécurité en avion. J'attrape un bout, puis l'autre, je les scrute mais n'en comprends toujours pas le fonctionnement. Je n'ai pas envie de mourir si bêtement, je me résous à demander de l'aide à ma voisine de siège. Les lèvres étirées par un sourire moqueur elle me l'explique. Elle avait fait sa B.A. Elle se souviendra de moi. Certainement.
L'avion décolle enfin et je regrette ce siège à l'arrière. Je pensais que j'allais vomir tout le contenu de mon estomac. Si vous le pouvez, évitez les sièges à l'arrière, totalement à l'arrière d'un avion. Je réussis tout de même à apercevoir Cadjèhoun à mes pieds, et très vite, c'était l'océan. Je songeai à tous ces moments où, assise à la plage avec ma famille où mes amis, je disais toujours en voyant un avion passer : un jour, ce sera mon tour. Je ne rêvais pas de France, je rêvais du Canada.

Vous pouvez y aller ! Tonne l'agent. Je m'exécute. Je poursuis mon chemin dans le labyrinthe Aéroport Charles de Gaulle, CDG pour les connaisseurs.
Nous sommes en septembre, et pourtant, pour moi, c'était le grand froid. J'ai regretté un instant de ne pas avoir fait comme ceux qui ont transformé les couvertures de Air-France en leur propriété. Ils avaient certainement raison. Peut-être que ça faisait partie du prix du billet.
Durant tout le vol, je ne savais pas ce qui était compris dans le prix du billet. J'avais peur qu'on me facture les boissons ou toute autre chose que j'aurais demandé alors j'ai demandé de l'eau. Uniquement. L'eau, ça ne devait pas coûter trop cher. Hein ?
Je me contente de sortir ma veste en jean, celle que j'ai méticuleusement choisi à Missèbo. Là-bas c'était la meilleure que j'ai dénichée, ici, elle paraissait provenir d'un autre temps. Je n'y prête guère attention. Je voulais juste me couvrir. Après les policiers aux frontières, les douaniers et les agents de santé me font une haie d'honneur.
Puis j'arrive au contrôle d'identité : il y a une file plus courte que l'autre. Mais pourquoi s'agglutinent-ils tous sur la plus longue. En m'avançant, je découvre que la plus courte est réservée aux passeports français et européens. Évidemment avec mon passeport vert, je n'étais pas concernée. Je retourne quelque peu honteuse prendre place en queue de la plus longue file d'attente, aux guichets « Autres passeports ».
Mes papiers étaient à jour mais je suis subitement prise d'un doute : peut-être que l'agent que j'ai soudoyé au pays pour qu'il sorte mon passeport en deux semaines m'en avait remis un faux et les agents de l'ambassade de France n'y avaient vu que du feu. Mais ici, ces hommes et femmes à la mine renfrognée pour on ne sait quelle raison avaient forcément des appareils plus performants qui détectent tout.
A ces pensées, mon cœur s'était mis à faire de grands bonds dans ma poitrine. Et malgré la fraîcheur sournoise que je ressentais en ce lieu, je commençais à transpirer sous ma veste. J'arrive au bout de la file. C'est mon tour. Je tremble littéralement. Je m'approche de l'homme à la mine serrée, comme s'il n'en pouvait plus de voir déferler chaque jour sur son territoire une horde d'étrangers à la recherche du gain facile.
Je tends mon passeport en l'accompagnant d'un « bonjour » nerveux qui ne reçoit aucune réponse, du moins, audible. L'homme jette un coup d'œil sur moi puis sur le passeport, à nouveau sur moi et de nouveau sur le passeport. Il tape quelque chose sur l'ordinateur et j'entends tchrack. Je reprends mon passeport et presse le pas. Peut-être changera-t-il d'avis. Ce coup de tampon signifiait définitivement le début d'une nouvelle vie et ce passeport restera à jamais l'un de mes objets fétiches.
Je suis le groupe devant moi sans vraiment connaître l'étape suivante de cette aventure. J'arrive dans l'immense hall des tapis roulants. C'était l'instant « récupération des bagages ». Je m'empare d'un chariot en espérant qu'il avance mieux que celui que j'ai eu à Cotonou.
Les ayant marqués d'un signe distinctif, un sachet jaune attaché à chaque poignet, je les aperçois rapidement. J'essaie de les charger sur le chariot et ils étaient plus lourds que lorsque je les avais préparés au pays.  Je tente de faire avancer le chariot et de nouveau, les roues partent dans tous les sens.
Je tente de garder un air neutre et sur un malentendu, le chariot se met à avancer. C'est alors que je me rends compte que j'étais dans le hall des arrivées et c'est alors que je le vois devant moi, du haut de son mètre quatre-vingt-quinze, il était plié de rire sans doute à la vue de l'ensemble que je formais avec mon accoutrement et la taille de mes valises que supportait jusqu'alors le chariot.

A suivre...

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