C O L I N
— Bon, on ne va pas se mentir, le journal qu'on a écrit la semaine dernière était loin d'être le plus transcendant que nous ayons produit. Quelqu'un aurait des suggestions, des idées d'articles qui pourraient changer de d'habitude ? demandais-je assis en tailleur sur le bureau de la classe, un crayon dans une main et un calepin dans l'autre.
Nous étions lundi soir. La salle F107 était libre tous les jours de dix-sept à dix-huit heures. Aussi, les professeurs avaient eu l'amabilité de nous la prêter pour écrire le journal du bahut.
— On raconte les potins ? Camille et Molly se sont remis ensemble, proposa Ambre qui mâchait bruyamment son chewing-gum à la fraise.
Je rehaussai mes petites lunettes rondes sur mon nez.
— Non. Ils se séparent et se remettent ensemble toutes les deux semaines, leur relation n'a plus aucun piquant, donc plus aucun intérêt, objectais-je.
— On pourrait se plaindre de leur nouveau menu parfaitement dégueulasse qu'ils ont essayé de nous faire manger la semaine dernière, poursuivit Martin qui jouait distraitement avec son stylo, s'amusant à le faire tourner entre ses doigts agiles et élancés.
— Martin, on critique le self dans tous nos journaux. On n'a rien de plus innovant ? De plus croustillant ?
— Bah...
— Faut dire qu'on étudie à la campagne, dans le petit lycée d'un banal bourg tranquille. Le plus gros crime qu'ait connu cette ville c'est le vol de bonbons à la boulangerie par des gosses du coin. On n'est pas non plus à Mantes-La-Jolie où on découvre un cadavre tous les deux jours, débita Ambre avant de faire éclater une grosse bulle bien rose et bien ronde.
Je soupirai. Elle avait raison. Il ne se passait jamais rien ici. La vie suivait son cours lentement et tranquillement, sans embûche, sans pression. Il n'y avait pas d'action, pas d'événement grandiose ou spectaculaire que l'on aurait pu exploiter pour pondre un bon article. Il n'y avait rien, en fait. Si ce n'était des paysans au volant de leurs moissoneuses-batteuses et des péquenauds en claquettes-chaussettes en toutes saisons.
— Sinon j'ai fait un tour à la librairie récemment et je me suis acheté le dernier tome de One Piece, je pourrais écrire des dizaines de lignes sur la joie et l'euphorie que m'a provoqué sa lecture, nous apostropha Martin comme s'il venait d'avoir une idée de génie.
— Sans vouloir te vexer, je pense que le lycée s'en branle complètement, le coupais-je avant de me faire interrompre à mon tour par le bruit sourd d'une personne frappant à la porte.
Nous étions au complet, aussi me demandai-je qui pouvait bien vouloir nous déranger. Nous n'étions que trois, c'était bien peu pour un club, je le concède. Nous étions plus au début, au moins une bonne dizaine. Mais les sujets d'articles s'étaient vite retrouvés épuisés, l'inspiration nous avait rapidement fait défaut, et peu à peu, les gens s'étaient lassés.
Nos adhérents avaient fini par nous lâcher, nos lecteurs avaient fini par se désintéresser totalement de notre journal. Il ne restait plus qu'une poignée de lycéen pour lire encore notre hebdomadaire, bien que la plupart d'entre eux ne s'y intéressaient que pour le menu du self qui était affiché sur la quatrième de couverture.
— Entrez ! criai-je, un poil énervé, irrité par cette interruption soudaine et imprévue.
Je fus surpris de découvrir que la personne qui était derrière la porte n'était non pas un professeur qui avait oublié que le club journalisme occupait cette salle à cette heure-là comme ça nous était déjà arrivés plusieurs fois, mais un adolescent de notre âge tout à fait charmant, aux traits asiatique, à la carrure frêle et au regard fuyant.
— Euh, bonjour... C'est ici le club journalisme ? demanda-t-il timidement en refermant la porte derrière lui.
— Absolument ! s'exclama Ambre qui devait être tout aussi heureuse que nous d'accueillir un futur membre potentiel. C'est pour nous rejoindre ?
— Oui, répondit-il simplement en se grattant la nuque, visiblement mal à l'aise.
— Bon, tu resteras cinq minutes à la fin de l'heure avec moi pour t'inscrire et remplir quelques documents administratifs, c'est chiant mais bon, on y est bien obligé, dis-je en notant sur mon carnet de ne pas oublier de référer de sa venue à notre tuteur, monsieur Gautier, professeur de littérature. Tu t'appelles comment ?
— Émilien.
J'acquiesçai.
— Moi c'est Colin. La meuf au chewing-gum c'est Ambre, et le gogole fan de manga au premier rang c'est Martin.
Il hocha la tête.
Avant, je faisais passer un petit test aux personnes souhaitant rejoindre notre club. Je leur demandais s'ils aimaient lire, écrire, s'ils avaient une bonne maîtrise de la langue française et une bonne capacité rédactionnelle. Mais nous n'étions désormais plus que trois, je n'allais pas faire la fine bouche. Et puis, il avait une bonne tête, il m'avait fait bonne impression.
— J'ai trouvé ! On pourrait parler du voleur du lycée ! s'exclama soudainement Martin tandis que l'énigmatique Émilien partait s'asseoir sur une chaise au premier rang, juste à côté d'Ambre qui continuait de mâchonner son chewing-gum comme à son habitude.
Je relevai ma tête vers lui, le regardant avec intérêt. Je devais l'avouer, il venait de piquer ma curiosité.
— Enfin quelque chose d'intéressant ! Explique-nous, c'est quoi cette histoire de voleur ? m'enquis-je, intrigué.
— Une rumeur qui court. Apparemment, plusieurs téléphones disparaîtraient ces temps-ci.
— Mais ça c'est un scoop Martin ! Tu ne pouvais pas le dire plus tôt avant de nous parler de ton manga sans intérêt ?!
— Eh, ne critique pas One Piece Colin. C'est le meilleur manga du monde, il est inégalable. Eichiro Oda est un dieu que nous devrions tous vénérer.
Je balayai ses âneries d'un geste de la main. Enfin, il se passait quelque chose d'intéressant dans notre trou paumé au fin fond de la campagne ! Ça faisait longtemps que je n'avais pas entendu parler d'une affaire de vol. Il fallait absolument que j'enquête, il y avait de quoi écrire l'article du siècle.
— Martin, tu es un génie, je t'adore, ne change jamais. Je vais tâcher de mener mon investigation pour en savoir plus. En attendant, je compte sur vous deux pour trouver de quoi embellir le journal d'ici vendredi ! dis-je à l'attention de mes deux plus loyaux adhérents, Ambre et Martin.
Ils étaient là depuis le début. Ils avaient leurs défauts, mais au moins, il étaient restés fidèles au club tout du long. Ambre faisait beaucoup de fautes d'orthographe, j'étais toujours obligé de passer derrière elle pour la corriger. Martin était assez flemmard, il fallait toujours le motiver pour le faire travailler. Mais au moins, on pouvait compter sur eux. Et c'était bien le plus important.
Quoiqu'il en soit, cette rumeur m'intriguait. Le nouveau venu également. Cet Émilien était assez mystérieux, je me demandais pourquoi il avait rejoint le club, et surtout pourquoi maintenant, en plein milieu d'année. Je voulais résoudre l'affaire du voleur, je voulais apprendre à connaître Émilien. La suite des événements m'apparue comme une évidence.
— Émilien, que dirais-tu de m'accompagner dans cette enquête ? lui demandai-je, un sourire enjoué aux lèvres.
VOUS LISEZ
Les apprentis détectives
Teen FictionColin est le créateur du club de journalisme de son lycée. Il est du genre fouineur, espiègle et excentrique, il aime fouiller dans les affaires des autres pour écrire les meilleurs articles possibles. Il est prêt à tout pour son journal, quitte à s...