11° Le rendez-vous

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C O L I N

D'après la description du voleur d'Émilien, j'en étais venu à la conclusion que c'était quelqu'un qui aimait la prise de risque. En effet, il avait d'abord piqué son premier portable, celui de Sarah, à l'abri des regards indiscrets dans les vestiaires.
Puis, plus audacieux, il avait dérobé le téléphone de Rémi directement dans son sac de cours, au milieu des autres élèves, et ne s'était apparemment pas fait remarquer. Enfin, il avait attaqué Émilien de front en jouant au pickpocket. Décidément, notre voleur était rusé, mais surtout, c'était un joueur qui aimait se lancer des défis.


Nous avions affaire à un voleur amateur dont le lycée était un terrain de jeu.

Ainsi, après que mon acolyte eut fini de me raconter son altercation avec notre principal suspect, je lui avais donné rendez-vous à la bibliothèque municipale de la ville. Demain, quatorze-heure, avions-nous convenu. Il fallait absolument que nous mettions de l'ordre dans nos indices, et que mon docteur Watson préféré me dresse le portrait robot de ce salopard.

J'avais eu du mal à m'endormir, tant j'étais excité et impatient d'être à la bibliothèque. Ça faisait longtemps que mon quotidien n'avait pas été aussi mouvementé. Et je n'en étais pas mécontent, loin de là. Le lendemain matin, j'étais debout à sept heures tapantes, et je préparais déjà ce que j'allais emmener pour passer l'après-midi avec Émilien.

Dans mon sac à dos habituel, je fourrais le calepin que j'utilisais depuis le début pour noter notre avancée, ma trousse de cours, un paquet de biscuits parce que je suis un gros dalleux, ainsi que des crayons de couleurs, au cas où Émilien se révélerait être un artiste de génie qui pourrait reproduire le visage de son agresseur à l'identique. J'étais sans doute un poil trop optimiste, je le reconnais. Une fois devant la bibliothèque, je n'attendis pas longtemps avant d'apercevoir la touffe de cheveux noir de mon fidèle équipier.

— Salut ! m'exclamai-je lorsque Émilien croisa mon regard.

Il semblait fatigué ces derniers temps, mais paraissait en meilleure forme aujourd'hui. Il me lança un petit sourire en guise de salutation. Je me donnais un baffe mentale pour l'avoir trouvé mignon et avoir senti les battements de mon coeur s'accélérer. Ce n'était pas le moment de tomber amoureux, j'avais des chats plus importants à fouetter.

Nous nous installions donc sur une des nombreuses tables du fond -dont la plupart étaient inoccupées- et nous attelions à la tâche.

— Du coup, tu te souviens comment il était ? lui demandais-je.

Il était assis en face de moi. Il sembla réfléchir quelques instants.

— C'était un mec, ça, c'est sûr. Il n'a pas grand chose qui le différencie des autres, à vrai dire. Je n'ai pas vu son visage, et encore moins ses cheveux, camouflés par sa cagoule. Il n'était ni trop grand ni trop petit, il était de taille moyenne.

— Il n'y aurait pas un autre détail qui t'aurait marqué ? Parce qu'avec cette description, autant chercher une aiguille dans une botte de foin.

À nouveau, il sembla se plonger dans une profonde réflexion.

— Il avait une veste assez peu banale, finit-il par déclarer.

— Ah ! Tu pourrais me la décrire ?

Il hocha la tête.

— Elle était de couleur foncée, presque noire. Il me semble que c'était du cuir. Il y avait une sorte de tête de mort dans le dos, avec une espèce de chapeau sur le crâne.

— Ça, c'est un indice capital qui peut faire la différence. Si on choppe quelqu'un avec cette veste, on a de grande chance que ce soit notre voleur de portable. Tu es génial Émilien, que ferais-je sans toi... laissais-je échapper, un grand sourire aux lèvres en notant la description du fameux blouson.

Lorsque je relevais les yeux vers lui, je me rendis compte qu'il rougissait. C'est vrai qu'il était très facilement gêné. J'aimais bien cette facette de sa personnalité, timide et embarrassée. Je le trouvais adorable.

— Bon, maintenant, il faudrait faire le tri parmi les personnes que nous avions sélectionné dans les dossiers scolaires, déclarais-je en arrachant les pages de mon calepin sur lesquelles j'avais pris en notes les dossiers qui nous intéressaient.

Je les éparpillais sur la table, face à lui. Pour ne pas avoir à les lire à l'envers, je tirais une chaise et m'asseyais à ses côtés. Je jetais un coup d'oeil dans sa direction. Nos bras se frôlaient, et le rouge de ses joues s'était accentué. Je ne pus empêcher un furtif sourire attendri de prendre place sur mes lèvres.

— Déjà, on pourrait éliminer Iris et Sonia. On est à peu près sûr que c'est un homme, dis-je pour tenter de dissiper son embarras.

— Euh oui...

— Ensuite, on pourrait peut-être éliminer de la liste la bande de racaille, avec Kévin et toute sa clique.
Je pense que le voleur agit plutôt en solitaire. Et ces types ne sont pas assez malins et habiles pour perpétrer autant de vol sans se faire chopper.

Il hocha la tête.

— Sinon, parmi tous ceux qu'il nous reste, y aurait-il quelqu'un qui soit plus louche que les autres à tes yeux ?

Il ne répondit pas pendant une bonne trentaine de secondes, étudiant les noms de nos suspects.

— Pas vraiment, souffla-t-il. Quoique, Sam Gaudin et François Cognet pourrait correspondre, ils semblent avoir la même carrure que mon pickpocket.

— Nickel, on ira les interroger lundi alors, annonçais-je en retournant à ma place, en face de lui.

Je repris mes petites feuilles avec le nom de notre potentiel voleur et les plongeais dans mon sac. Seize heures approchait à grands pas, et je commençais à avoir faim. Je n'avais rien à ajouter à propos de l'enquête, aussi proposais-je à mon fidèle acolyte de sortir dehors dans le parc pour manger des granolas.

Il n'hésita pas une seule seconde pour me répondre par l'affirmative. Souriant, nous quittions donc la bibliothèque pour nous installer dans l'herbe, dans ce même parc où nous avions semé la bande de racaille, dans ce même parc qui côtoie le lycée.

— Quand l'enquête sera fini, et qu'on aura trouvé le voleur...

Je tournais la tête vers Émilien, quelques miettes de biscuits au coin des lèvres. J'attendais qu'il poursuive.

— Faudra que je te dise un truc.

Je plissais les yeux et hochais simplement la tête. Cette annonce sentait la déclaration d'amour à plein nez. Et pour preuve, ses joues étaient cramoisies. Je souris en sentant les battements de mon coeur s'accélérer une nouvelle fois. Décidément, Émilien était loin de me laisser indifférent. Au contraire, il réveillait en moi des sentiments que je n'avais pas ressenti depuis longtemps.

Les apprentis détectives Où les histoires vivent. Découvrez maintenant