17° L'enquête résolue

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C O L I N

Tout allait trop vite dans ma tête. Les pièces du puzzle commençaient à s'assembler. Tout était clair désormais. La veste One Piece du pickpocket, l'absence de Martin le jour où Émilien s'était fait piquer son portable, sa carrure, sa réaction lorsque j'avais décidé d'innocenter Loïs. Je ne voulais pas le croire, je n'avais même pas envisagé ne serait-ce qu'une seconde qu'un membre du club ait pu faire le coup.

Martin avait intérêt d'avoir une bonne excuse. J'ignorais ses motivations, mais quelles soient bonnes ou mauvaises, il m'avait fait tourner en bourrique et il allait me le payer. Émilien et moi nous dirigions d'un pas pressé vers le CDI. Nous voulions avoir des réponses au plus vite.

J'ouvris la porte du centre de documentation en trombe, ne pris même pas la peine de saluer les documentalistes comme j'en avais l'habitude et fonçai à l'étage, talonné par Émilien, direction la salle des ordinateurs. J'y entrais fébrile, et cherchais du regard notre coupable. Il discutait joyeusement avec Ambre. Croyez-moi, il n'allait pas tarder à déchanter.

— Ah Colin tu tombes bien, on attendait plus que toi pour nous corriger, me lança naïvement Martin, le sourire aux lèvres.

Le regard noir, je me postais devant lui. Émilien resta en retrait. Nous étions seuls dans la pièce, peu d'élève venait travailler ici.

— Martin, arrêtons de tourner autour du pot. Pourquoi ? m'enquis-je d'un ton ferme et sans appel.

Il parut surpris, et fronça les sourcils.

— Pourquoi quoi ? De quoi tu parles ?

Je soufflais, énervé. Il jouait avec mes nerfs, et faisait semblant de ne pas comprendre.

— Pourquoi avoir volé ces téléphones ? C'est plus clair ?

Il écarquilla les yeux de stupeur avant de se mordre violemment les lèvres. Je croisai les bras. J'étais impatient de découvrir ce qu'il allait bien pouvoir trouver pour se justifier. Émilien se rapprocha de moi, comme pour me montrer qu'il me soutenait. Ambre se crispa et détourna le regard. Martin finit par relever la tête vers moi, le regard neutre. Il était prêt à s'expliquer.

— Tu sais, commença-t-il, je m'ennuie. Il n'y a rien à faire ici. Il n'y a rien d'excitant, de nouveau, de transcendant. Il n'y a que l'ennui et toujours l'ennui, la routine et la répétition. J'en ai eu marre. J'avais besoin de changer tout ça, de bousculer un peu les choses, de renouveler mon quotidien.

— Il y avait d'autre manière de faire que de t'improviser voleur et de m'envoyer enquêter sur tes crimes en cartons, le coupais-je, toujours en colère contre lui.

— Certes. C'était stupide et je le reconnais. Je ne sais pas vraiment ce qui m'a pris, ce jour-là, lorsque j'ai volé mon premier portable. Notre classe avait cours de sport en même temps que celle de Sarah, et Ambre m'avait demandé d'aller chercher sa bouteille d'eau qui était restée dans les vestiaires des filles.

— Je l'aurais bien cherché moi-même, mais j'étais entrain de vomir dans les toilettes ce jour-là. On avait course, et la prof de sport m'avait obligé à courir jusqu'à l'épuisement, argumenta la brune.

— J'étais sur le point de quitter les vestiaires lorsque j'aperçus l'Iphone de Sarah qui dépassait de son sac. Je n'ai pas réfléchi, je l'ai mis dans ma poche. C'était une sensation tellement grisante. Braver l'interdit, commettre une infraction. Enfreindre les règles. J'ai eu des remords, mais pas de regret. Alors j'ai recommencé.

— Et à chaque fois, tu augmentais la difficulté, poursuivais-je, en pleine réflexion. Tu as ensuite volé le téléphone de Rémi au nez de tous les élèves présents dans le forum, puis tu t'es attaqué de front à Émilien.

— À ce moment-là, j'ai su que j'étais allé trop loin, avoua-t-il. La peur de me faire prendre est devenue plus importante que la sensation d'excitation que je ressentais après chaque vol. Je n'ai plus jamais mis au lycée la veste que je portais au moment de voler Émilien. Mais je savais que vous ne lâcheriez pas l'affaire de sitôt. Alors j'ai eu l'idée d'accuser quelqu'un.

— Ce qui était parfaitement dégueulasse et injuste, d'ailleurs, commentais-je, grinçant.

— Oui. Mais encore une fois, j'en au eu des remords, mais pas de regret. Loïs était le candidat idéal: il fait à peu près la même taille que moi, en plus d'être arrogant, haineux et hautain. Je m'étais dit que s'il venait à se faire exclure, il ne manquerait à personne. J'espèrais vous duper comme ça et clore définitivement cette enquête. Mais vous avez été plus perspicaces que prévu.

— Fallait pas nous sous-estimer non plus, dis-je, d'un ton plus fier que je ne l'aurais voulu.

— C'est vrai, j'ai fait une erreur. Vous n'avez pas lâché l'affaire, et ça a fini par payer. Vous m'avez coincé. Qu'allez-vous faire maintenant ? Me dénoncer ?

J'y réfléchis sérieusement. Ma colère était retombée. D'un côté, j'avoue que je comprenais Martin. J'étais de même nature que lui, j'étais friand d'aventure et de nouvelles expériences. Je détestais être enfermé dans une routine. Mais je ne sais pas si j'aurais été capable de commettre un vol pour redynamiser le journal du lycée et sortir de mon train-train quotidien.

— Non, je ne te balancerai pas, finis-je par souffler. Je pensais te passer un savon, mais je n'en ai plus l'envie. T'es quand même un sacré con, alors t'as intérêt à te faire pardonner.

Il acquiesça. Je savais qu'il saurait se faire excuser. Ce n'était pas quelqu'un de mauvais. Il était juste comme moi, comme nous, la grande majorité des adolescents. Il était perdu, et à la recherche de lui-même.

— Au fait, t'étais au courant, n'est-ce pas ? demanda Martin en s'adressant à Ambre, qui parassait soulagée de ma décision.

— Oui, avoua-t-elle. Je t'ai vu glisser les portables dans le sac de Loïs, alors qu'il mangeait au self. Mais je n'ai rien dit, parce que je ne balance pas mes potes.

— Tu es la meilleure amie du monde, geignit-il, reconnaissant, en la prenant dans ses bras.

Ambre eut un petit sourire triste aux lèvres, mais se laissa faire. Je soupirais, soulagé que cette histoire soit enfin terminée.

— Bon, c'est pas tout ça, mais j'ai un journal à relire moi, dis-je en me saisissant d'une chaise et en prenant place à côté d'eux.

Je fis signe à Émilien de nous rejoindre, et il obtempéra au bout de quelques secondes, après avoir cligné plusieurs fois des yeux, comme s'il revenait à la réalité.

— Au fait, vous sortez ensemble tous les deux ? nous demanda Ambre, un sourire plein de sous-entendu aux lèvres. Émilien n'a rien écouté à la conversation, il te dévore du regard depuis tout à l'heure.

— Mais pas du tout ! se défendit-il, le rouge aux joues.

— Que veux-tu, ma beauté fait des ravages, me vantais-je, un sourire malicieux aux lèvres. On sort ensemble depuis samedi. Mais trêve de tergiversation, il est presque dix-huit heures, et j'ai encore plein de pages à corriger !

Je m'installais devant l'ordinateur, et m'attelais à la tâche, sous les vannes de Martin, le bruit des bulles de chewing-gum qui éclate d'Ambre et le regard amoureux d'Émilien. Quoiqu'il en soit, qu'importait s'il ne se passait plus rien d'intéressant au lycée jusqu'à la fin de l'année. Avec Émilien à mes côtés, j'étais sûr de ne pas m'ennuyer.

FIN.

Les apprentis détectives Où les histoires vivent. Découvrez maintenant