Le choc
Il est passé devant toi, sans t'adresser la parole. Sans te reconnaître. Il ne t'avait pas vue, ou il n'avait pas voulu te voir. Pourtant il te connaissait, bien sûr qu'il te connnaissait. Parce que toi tu l'avais reconnu immédiatement, son visage marqué, ses yeux gris qui parcouraient la cour, sa démarche presque royale, et cette petite cicatrice qu'il avait au dessus du sourcil. Tu le connaissais depuis qu'il était enfant, il vivait à côté de chez toi, vraiment à côté de chez toi.
L'immeuble d'à côté.
Vous aviez grandi ensemble, après tout. Vous aviez grandi main dans la main, et là tu le retrouvais enfin, après un an dans deux établissements différents. C'était des retrouvailles tellement attendues.
Enfin c'est ce que tu croyais.
Mais il ne te reconnaissait pas. Ça a duré quelques secondes. Il est passé devant toi en riant, ses yeux sont passés sur toi sans s'arrêter, et il est parti.
Le déni
Au début tu n'as pas compris. Tu as passé les heures suivantes à te dire qu'il ne t'avait pas vu, qu'il se souvenait de toi, qu'il n'avait pas osé, qu'il te parlerait plus tard. Le soir. Ou le lendemain.
Tu te disais qu'il t'aimait encore, que ça ne pouvait pas être autrement.
Ou qu'il avait peur. Qu'il doutait. Mais certainement pas qu'il t'avait oublié. Il ne pouvait pas parce qu'après tout... c'était lui, et c'était toi.
Et ces filles qui l'entouraient ne pourraient jamais te remplacer, toi qui étais son premier amour. Et son seul véritable amour. Ce que vous aviez partagé était magnifique, était fort, était unique, et surtout était indestructible. Et ni la fin de l'enfance ni les autres ne pourraient vous séparer.
La colère
Alors il ne te reconnaissait vraiment pas ? Il ne viendrait pas te parler ?
Tout était de sa faute. C'est lui qui le premier t'avait approché. Et c'était lui qui avait diffusé votre histoire.
Car s'il ne t'avait pas parlé, ce fameux jour où il était passé devant toi, deux ans auparavant à présent, il avait parlé à d'autres.
C'était forcément lui, puisque ce n'était pas toi.
Tu le haïssais. Comment avait-il pu ? Lui, rêve de toutes les filles et modèle de tous les garçons, te mettre dans cette position, toi qui rêvait de tous les garçons et prenait toutes les filles comme modèle ?
Tu étais en bas de l'échelle, il essayait de la renverser depuis le haut.
Tu le voyais tous les matins à côté de chez toi, tous les soirs, tous les jours. Toutes les nuits, puisque tu rêvais de lui. Et ça te rendait folle de rage. Si l'une de tes amies mentionnait son nom, tu hurlais qu'il n'en valait pas la peine, et tu la fusillais du regard. Elle aurait dû le savoir que tu ne voulais pas parler de lui. Et lorsque ta mère l'évoquait en se rappellant ton enfance tu claquais la porte.
Tu avais retrouvé vos lettres, vos photos, vos jeux, vos souvenirs. Tu avais tout jeté. Il ruinait chaque petit pas de ta vie.
La dépression
Mais si tu étais autant en colère c'est parce qu'au fond de toi tu l'aimais, tu l'aimais follement. Tu étais obsédée par ce garçon qui grandissait si loin de toi. Tu t'en voulais d'avoir jeté ces souvenirs, puisque c'est tout ce qui te restait de lui.
Tu te levais la nuit pour lui écrire. Tu n'écrivais pas un poème, un texte, une chanson, une nouvelle ou un début de roman qui ne le concernait pas. Il était dans tes mots, il était dans ta tête, dans tes rêves ou tes cauchemars, dans tes gestes, dans chacun de tes pas. Tu l'aimais, voilà tout.
Tu prenais soin de lui, de loin. Et si au fond de ton cœur une part de toi savait qu'il n'était plus cet angelot élevé près de toi, les autres n'avaient pas le droit de le savoir. Tu entretenais son image parfaite, tu disais à chacun qu'il était parfait, qu'il était exceptionnel.
Puis tu entras au lycée. Et tu te mis à te reconstruire. Tu devenais une belle jeune fille, tu devenais forte, obstinée, combattante. Tu croyais en toi et tu te battais pour tes convictions. Et lorsqu'il est arrivé à son tour tu lui as fermé ton coeur.
Du moins en apparence.
Les autres n'avait pas à savoir qu'il était ta faiblesse.
La résignation
Et puis après tout, que pouvais-tu faire ? Tu le connaissais depuis 14 ans, il ne t'avait pas dit un mot depuis 7 ans. Mais tu pouvais vivre sans lui. Tu devrais de toute façon apprendre à le faire... Tu ne l'oublierais jamais tout à fait. Tu le savais au fond de toi. Tu l'aimerais toujours un peu, dans tous ces visages qui t'entouraient et que tu apprendrais à aimer il y aurait toujours un peu de lui.
Et dans ta crainte de l'engagement et de l'abandon, tu savais d'où elle te venait. Mais tu composais avec, ce n'était pas grave...
L'acceptation
Mais tu as décidé d'aller plus loin que cela. Tu lui as fermé ton coeur, tu t'es forcée à le regarder en face. Il n'était pas celui dont tu te souvenais. Et même si tes yeux continuaient parfois à chercher les siens, c'était plus par habitude.
Tu savais qui il était. Tu savais qui tu étais. Et tu savais que le "lui" et le "toi" ne pourraient jamais s'épouser sous un "nous". Alors tu as quitté le lycée la tête haute, et le coeur léger, peut-être un peu entaché par ses yeux, après 14 ans auprès de lui.
La reconstruction
Dans les trois ans qui suivirent tu sortais avec chaque garçon avec qui tu plaisais. Pour être honnête tu faisais un peu n'importe quoi. Tu postais une photo de toi par jour, bien sûr très flatteuse, et tu te sentais belle. Tu te sentais bien. Tu te sentais admirée, tu te sentais aimée, tu te sentais enviée, tu te sentais désirée.
Mais tu avais l'impression de ne pas te ressembler.
Ce personnage publique que tu construisais ce n'était pas toi. Ce n'était pas toi qui te mettais en avant de cette manière, sans réfléchir.
Toi tu étais réfléchie, pensive, élégante et discrète. Tu étais confiante et indépendante, et multiplier les photos ainsi avec des descriptions vides de sens...
La quatrième année, tu as tout arrêté. Tu as disparu des réseaux sociaux, et tu as conservé ton coeur pour toi, préservant ainsi celui des autres. Tu avais fait du mal à beaucoup de garçons, tu le savais. Tu avais eu mal longtemps, tu avais décidé presque inconsciemment de te venger.
La cinquième année, tu l'as rencontré, lui. Lui qui a appris à aimer celle que tu étais devenue, toi qui ne savais pas encore trop qui tu étais.
Quand il t'a dit qu'il t'aimait, tu lui as demandé pourquoi. Quand il t'a dit que tu étais quelqu'un de vrai tu lui as dit que tu te construisais. Et il a proposé de t'aider.
Tu es devenu une femme qui se plaisait à elle-même, et c'était le plus important.
Votre histoire durait depuis plus de deux ans. Cela faisait 7 ans que tu n'avais pas entendu parler de lui, 14 ans depuis ce fameux jour qui avait sonné le début de ta fin, 21 ans depuis votre rencontre. Et tu as reçu un simple coup de fil.
Et c'était fini. Tu devais tout recommencer.
Le choc
Il était mort.
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Short StoryHistoires d'amour très courtes (oui parce que je déteste ça mais apparamment les écrire j'adore) donc enjoy !