Nuit blanche

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Mais ça n'a aucun sens.
C'est ce que tu te répètes depuis que tu as composé son numéro sur son téléphone.
Je vais ruiner mes chances s'il l'apprend.
C'est ce que tu t'es répété avant qu'il décroche.
Il ne doit pas l'apprendre.
C'est ce que tu as dit quand tu as entendu le "allo ?" au bout du combiné.

Tu as lâché simplement une phrase que l'homme au bout du fil a compris.
"J'ai besoin de toi.

- Tu sais où me trouver".

Tu as pris ta voiture. Il est tard, il fait nuit.
Tu as des cours demain matin. Tôt. Tu iras directement depuis chez lui.

Tu jettes tes affaires dans ton sac, ton sac sur la banquette arrière. Tu allumes le moteur.
Il n'y a pas un chat dans la rue. Tu roules une quinzaine de minutes, en silence, et tu ne sais même pas par quel miracle tu arrives en vie.
Parce que tu ne t'es pas concentrée sur la route, loin de là. Tu avais les yeux rivés sur elle, mais les pensées dans le vague.

Il était toujours d'accord pour te venir en aide... de cette manière là. Il avait l'habitude et puis, ça ne le dérangeait pas.
Loin de là.

"Ah, les hommes", pensais-tu, en te garant dans son allée.

Tu aurais pu continuer à essayer de t'en sortir seule. Mais depuis des mois tu n'avais trouvé que cette solution, pour essayer de combattre ta pulsion au moins une nuit.
Le seul moyen que tu avais trouvé pour pouvoir t'endormir ensuite, une heure ou deux, d'un sommeil sans rêve.

Tu as sonné en bas. Il est venu t'ouvrir. Il t'a sourit. "Encore lui ?" C'est la seule question qu'il t'a posé. "A ton avis ?" C'est la seule réponse que tu as pu articuler.

Vous êtes arrivés sur son palier. Il a ouvert la porte.

"Tu veux manger quelque chose ? Boire quelque chose ? Mettre de la musique ?

- Je suis là pour quoi ? On en est plus là si ?"

Non, vous n'en étiez plus là. C'était la énième fois que ça vous arrivait depuis cette soirée que vous aviez fini ensemble, toi le cœur en miettes une fois de plus, lui profondément seul. A votre réveil, vous étiez embrumés, perdus, et vous avez ri. Comme vous n'aviez jamais ri ni entre vous ni avec personne. Votre situation vous rendait triste l'un pour l'autre, et pourtant c'est devenu une sorte de marché entre vous. Quand les deux étaient seuls, tristes, et que c'était trop dur à passer sans l'autre, vous vous retrouviez.

Tu as avancé d'un pas décidé vers sa chambre. Tu as jeté ton sac dans un coin, il t'a suivi. Il a fermé la porte derrière vous. Tu t'es assise sur le lit, il s'est accroupi face à toi.

"Tu es sûr que tu ne veux pas m'en parler au moins ? On s'est dit qu'on pouvait réserver un temps pour les confidences." Mais tu n'avais pas envie de confidences. Tu fixais le plafond chez toi depuis deux heures, trois, quatre peut-être. Tu n'avais rien mangé, envie d'un autre. Et tu voulais que quelqu'un apaise cette envie pour que tu puisses dormir.

"Je ne veux pas parler. Tu me connais. Tu sais ce dont j'ai envie."

Il ne lui en fallait pas plus. Tu t'es allongée, le dos contre ses draps que tu commençais à connaître. Il était au-dessus de toi, les yeux rivés dans les tiens. A cet instant, tu ne sais pas, de ton ventre qui en appelait un autre ou de ses yeux qui reflétaient le même manque que le tien, ce qui t'as fait le plus de peine. Vous étiez vraiment deux âmes perdues chacune dans un océan différent qui tentaient malgré tout d'accorder leurs appels au secours.
Était-ce l'attente ou le manque qui l'a fait avancer, tu ne sais pas. Mais soudainement ses lèvres se sont retrouvées sur les tiennes, et tes mains le délestaient du t-shirt qui te barrait l'accès à sa peau. Très vite ta robe échappait à ton corps et tu te retrouvait presque nue, à appuyer des baisers que tu ne lui destinait pas, et à recevoir ceux qu'il aurait voulu donner à une autre. Ses mains de plus en plus pressantes s'attardèrent peu sur tes joues, un petit peu dans ton cou, vite remplacées par ses lèvres. Elles étaient brûlantes, semblaient t'embraser la peau à chaque contact. Mais ce n'était pas du désir.
Ta peau se tendait sous ses soupirs, tes mains parcouraient son dos, ses épaules, ses cheveux. Ses mains à lui descendaient toujours, toujours plus bas, suivies de près de sa bouche qui ne laissait pas une parcelle de ton corps sans lui appliquer sans cesse le même fer rouge dont tu avais pris l'habitude. Les yeux fermés tu ouvris lentement l'intérieur de tes jambes auquel il arrivait bientôt. La chaleur dans ton bas-ventre le devança, peut-être enfin commençais-tu à oublier.

Pourquoi pleurais-tu ? Était-ce la douleur de tes dents sur tes lèvres que tu venais de mordre, étaient-ce ces lippes qui venaient se déposer sur ton ventre, ou était-ce simplement ces grands yeux bleus qui étaient les grands absents de cette nuit, que tu voyais pourtant briller sous tes paupières aussi nettement que si ça avait été eux, quelques minutes plus tôt, qui s'étaient plantés dans les tiens ?

Une main empoignant le draps tu te courbais sous les assauts de ces doigts, de ces lèvres, de cette langue qui cherchait à t'apaiser de tes souffrances ou à se décharger des leurs. Voilà ce qu'était votre pacte. La promesse de donner un corps à l'autre pour le soulager de temps à autre, quand le besoin, le manque, le désir de l'absent.e devenait trop fort.

Les mains de ton amant remontaient le long de tes cuisses, puis le long de ton ventre, le long de ton sein, le long de ta gorge. Les quelques traces de tissus qui vous enveloppaient encore rejoignirent la pile de vêtements qui s'entassait au bas du lit. Vous avez échangé un regard encore, ou en es-tu vraiment sûre ? Du moins tes yeux ont accroché un regard dans l'obscurité, ses yeux ont accroché un sourire dans le noir. Vous sentiez-vous vivants ou avez-vous chacun vu un fantôme ? Qui pouvait-vous le dire, et après tout, est-ce que cela comptait ?
C'est ton intimité qui t'a fait revenir un quart de seconde à la réalité. Vous vous fondiez l'un l'autre dans un manque animal, chacun vous comportant comme si toute humanité avait quitté votre corps. Vous n'assouviez plus qu'un besoin primaire, charnel, sans délicatesse, avec une brutalité à laquelle vous vous étiez habitués. Le but n'était plus de panser vos blessures, plus depuis longtemps. A présent, il s'agissait simplement de les oublier, au prix, s'il le fallait, de s'en créer d'autres.

La petite mort. Quand ta douleur, enfin, est venue s'échapper sur le bord de tes lèvres. Quand avec elle t'a échappé un nom, dans un soupir. Quand tu as entendu un nom sortir de ces lèvres qui accaparaient chaque centimètre de ta peau quelques minutes auparavant. Tu n'as pas dit le nom de ces lèvres. Il n'a pas dit le nom de cette peau. Qui de vous deux pouvait ne pas avouer qu'une fois encore, vos esprits avaient quitté la pièce pour rejoindre d'autres lits ? Qui de vous deux pouvait dire combien de temps s'était écoulé ? Il s'est simplement allongé contre toi, et a rabattu un draps sur tes jambes, posant une main sur tes hanches. Tes lèvres, que tu as remonté de sa nuque jusqu'au bord de son oreille a chuchoté un simple "merci". Il n'a rien répondu. Tu as fermé les yeux, et tu t'es endormie.
Le lendemain, tu t'es réveillée, tu t'es habillée, tu as pris ton sac, et tu es parti. Quelques heures plus tard il s'est levé à son tour, n'a pas pris la peine de te mettre un message. Parce que ce n'était pas la peine.
Il suffirait d'attendre la prochaine fois, que l'un de vous deux craque, et ça recommencerait. Parce qu'il y aurait une prochaine fois.

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⏰ Dernière mise à jour : Nov 16, 2020 ⏰

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