7. Ariana Shaffer

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" Quelle étrange journée ! Alexis ne m'a pas rembarré une seule fois, aujourd'hui. Peut-être qu'elle a décidé de me laisser tranquille. En vérité, j'y crois pas une seule seconde. Elle était vraiment bizarre aujourd'hui, elle était pas comme hier. Elle a presque séché tous les cours ce matin, elle n'est arrivée qu'à onze heures. Et là encore, elle a eu un comportement étrange. Elle a commencé par s'excuser de son retard, ce qu'elle ne fait apparemment jamais, puis elle m'a lancé un regard bizarre. J'aurais juré qu'elle me transmettais un message, mais j'ai toujours pas compris ce qu'elle voulait me dire. Bref, ensuite, elle s'est installée à côté de Carli et lui a tendu un papier, avant de s'affaler sur la table. Ensuite, j'ai vu son expression changer quand Madame Mayers a parlé de Calypso, la nymphe dans l'Odyssée, le livre que l'on va étudier. À la récré, je l'ai surprise avec Carli, elle était en pleurs, elle avait l'air tellement... Vulnérable ? C'était bizarre de la voir comme ça. J'ai pas compris de quoi elles parlaient, j'étais bien trop loin. En retournant en cours, en anglais, elle a commencé à provoquer la prof, puis tout se passait bien, avant qu'une fille de la classe ne lui lance un papier. J'ai vu toute la scène. Son visage s'est fermé et elle lui a montré, très gentiment, son majeur. Quelques minutes plus tard, un gars - Rick, si je me souviens bien - s'est levé quand elle a relancé sa gomme dans l'œil de la pouf du début. Il s'est approché d'elle sans qu'elle ne le voit et lui a claqué la tête contre son bureau. C'est la que la bagarre a débuté, c'est Carli qui y a mit fin. Elle a fait sortir Alexis de la salle, d'ailleurs, elle avait l'air vraiment mal, j'ai même pensé qu'elle allait s'évanouir. On finissait à dix-huit heures, aujourd'hui, je ne les pas revu de la journée, ni Alexis ni Carli. "

Je ferme mon journal et m'affale contre le dossier de ma chaise. J'aimerais tellement comprendre cette fille. Elle m'intrigue au plus au point. Je n'arrive pas à la cerner. Bon, après tout, il faut dire que je n'ai jamais été très forte pour ça. Je pensais connaître les gens que je fréquentais, mais ils se sont tous révélés être l'inverse de ce que je pensais. Quelle ironie ! Moi qui avait tout pour réussir, je me suis retrouvée sans aucun ami, sans personne à part ma mère et mon frère. J'ai tout perdu en quelques minutes, ma vie a basculé à jamais ce jour-là. Je ne crois pas être capable de recommencer tout ça, de faire confiance à nouveau, je pourrais pas aimer encore une fois. Je suis bien trop faible, trop fragile. Même mon père n'a plus voulu de moi. Je souris tristement en repensant à l'homme que je tente, tant bien que mal, d'effacer de ma vie. Si seulement il était resté, alors rien de tout ça ne serait arriver. Je le hais tellement, il a tout gâché, ma vie est partie en fumée, j'ai perdu la personne qui comptait le plus pour moi, alors qu'il aurait pu l'empêcher.

Perdue dans mes pensées, je sursaute lorsque mon petit frère grimpe sur mes genoux.

- Ari' ! Tu viens manger ? s'exclame-t-il.

- Oui, j'arrive. Allez, ouste, fis-je en souriant.

Jordy sort de la chambre et descend les escaliers en courant. Peu de temps après, je les rejoins dans le salon et on mange ensemble le repas concocté par ma mère.

- Est-ce que tout va bien, Aria' ? Tu es bien silencieuse ? me demande ma mère en posant sa fourchette.

- Oui, ça va, M'man. T'en fais pas, promis-je en lui souriant.

Sauf que non, ça ne va pas. Ça va faire trois mois dans quelques jours. J'ai passé pratiquement tout le mois d'Août à aller la voir, mais maintenant qu'on a déménagé, impossible pour moi de le faire. Et ça me rends dingue. Elle me manque tellement. Je joue avec les petits pois dans mon assiette.

Le silence règne sur la table, l'ambiance est lourde et je déteste ça. Ça me mets mal à l'aise, je n'arrive pas à contrôler les battements de mon cœur. Je recule ma chaise, me lève et monte en courant dans ma chambre, malgré les cris de ma mère qui m'appelle. Je ferme la porte à clé et m'effondre sur mon lit. Une larme unique dévale ma joue.

- Ariana, ouvre cette porte ! Immédiatement ! Aria', je ne rigole pas ! Tu ouvres ! s'écrie ma mère en tambourinant contre le bois.

- Laisse-moi, Maman ! S'il te plaît, suppliais-je, à bout.

- Ma chérie, ne te renferme pas, parle-moi. Je suis là pour toi, lance tristement ma mère à travers la porte.

- Je sais, je veux juste être seule, murmurais-je.

Après quelques minutes, j'entends ses pas qui s'éloignent. J'ouvre mon tiroir pour prendre un cachet pour le mal de tête, quand je vois le reflet brillant de ma lame. Je l'attrape et l'observe, la faisant tourner entre mes doigts. Le métal froid contre ma peau m'apaise. J'hésite à tracer une nouvelle marque. Je repense à ma mère, inquiète, et repose brutalement l'objet, avant de refermer le tiroir, refusant de me laisser tenter.

Je soupire, avale le médicament et enfile un pyjama. Je m'enroule dans ma couette et ferme les yeux, espérant pouvoir passer une nuit tranquille. Bien qu'au fond de moi, je sais pertinemment que les cauchemars reviendront cette nuit, comme toutes les autres. Résignée, je laisse le sommeil m'emporter.

" Lorsqu'une épreuve nous frappe au visage, ce n'est pas en baissant la tête que l'on voit venir la solution " - Yvon Deveault

Comment (ne pas) l'aimer ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant