On se demande souvent comment nous allons mourir, dans quelles circonstances, dans quelle souffrance mais surtout où nous allons après. Malheureusement nul ne le sait, puisque personne a pu revenir d'entre les morts pour le dire à ceux encore en vie. Pour ma part, je sais ce que ça fait de mourir de l'intérieur, de sentir son âme s'en aller sans pouvoir la retenir, et se demander ce que nous allons devenir en étant ainsi. Je souffre et je sais que je vais devoir continuer de vivre comme si de rien était. Comme si ce que j'avais vécu, n'était rien de grave et de bien important. Je n'ai plus de raison de vivre, je n'ai plus de but. Je me sens sale, souillée, humiliée, morte. J'ai été violée, et je ne m'en remettrai jamais.
La fête n'est toujours pas terminée quand je commence à me relever, la musique est assourdissante et j'entends des gens hurler les paroles de la chanson qui passe. Quand je sors du lit ma tête commence à tourner et les courbatures que je ressens au niveau de mes cuisses m'obligent à me rasseoir. J'attrape mon jean et ma culotte tombés par terre et peine à me rhabiller. Je trouve mes chaussures de l'autre côté du lit et me les remet au pied. Quand je me retourne vers le lit, je vois une tâche rouge sur les draps. Une personne ayant encore de l'espoir aurait pleuré face à cette tâche, moi je ne ressens rien. Je ne suis plus moi. C'est comme si mon humanité était partie petit à petit pendant qu'il me pénétrait, jusqu'au moment où elle a fini par disparaître complètement. Je ne sais pas combien de temps je suis restée immobile dans ce lit, sans pouvoir bouger. Je récupère mon téléphone qui était resté dans la poche arrière de mon pantalon et regarde l'heure. Il est quatre heures du matin. Les vingt quatre appels manqués de ma mère me rappellent que j'étais censée rentrer à une heure à la maison. Et merde...
Je commence à descendre les escaliers, quand Léa m'interpelle les larmes aux yeux.
- Putain Romy t'étais où? On t'a cherché partout, ta mère n'a pas arrêté de m'appeler. On a cru qu'il t'était arrivé quelque chose de grave. T'aurais pu nous prévenir quand même, envoyer un message je sais pas moi!
- Oui je suis désolée je n'y ai pas pensé...
Léa tente de me prendre dans ses bras mais je recule. Je ne veux pas qu'on me touche. Je ne le supporterai pas. Je me rends compte que sa proximité me fait trembler de partout mais heureusement elle ne semble pas remarquer dans quel état je suis.
- Oh j'allais oublier... me dit-elle après un court instant. Mathys a dit qu'il ne voulait plus te voir parce que tu lui as mis un lapin.
Cette nouvelle ne me fait ni chaud ni froid. Mon visage reste neutre, sans émotion, vidé.
- C'est pas grave. Tu peux me ramener chez moi s'il te plaît? je lui demande.
- Oui oui bien sûr. Je te préviens ta mère est grave énervée...
- Oui je m'en doute, lui dis-je en m'efforçant de sourire.
Le trajet pour revenir chez moi me semble être celui le plus long de ma vie. Je regarde les paysages défiler par la fenêtre, réfléchissant à une excuse valable pour expliquer mon retard à mes parents. J'ai trop honte pour pouvoir raconter ce qu'il s'est passé lors de cette soirée. Je n'ai pas envie qu'ils aient pitié de moi ou qu'ils me jugent. J'ai peur qu'ils ne me voient plus comme celle que j'étais avant. De toute façon ce moment a effacé radicalement la personne que j'étais avant. Il ne me reste plus qu'à vivre en étant celle que je suis devenue. Finalement, je ne trouve rien de plausible et me rend compte qu'il va falloir que je fasse preuve de mes talents d'improvisation.
Quand nous arrivons devant la façade de ma maison, je me tourne vers Léa et la remercie. Nous nous prenons une dernière fois dans les bras et elle me souhaite bonne chance. Je sors de la voiture et elle ouvre la fenêtre du siège passager.
- On se revoit à la rentrée ma belle! me dit-elle avant de partir comme une fusée au volant de sa voiture.
À peine ai-je posé le pied dans la maison que ma mère me saute dessus en
hurlant.
- Où étais-tu passé jeune fille? Je n'ai pas arrêté de t'appeler sur ton téléphone, j'ai même appelé Léa! Est-ce que tu te rends compte de l'état dans lequel j'étais?
- Oui je sais, je suis désolée vraiment. Je me suis endormie et j'ai oublié de mettre un réveil.
Après avoir présenté mes excuses, ma mère se détend et commence à pleurer. Elle a toujours été de nature très sensible et protectrice. Je me souviens un jour quand j'étais petite, j'avais demandé à mon père de m'enlever les petites roues de mon vélo, ce qu'il avait fait avec plaisir. Il m'avait fait jurer de ne pas le dire à ma mère qui s'inquiétait beaucoup trop pour moi. Quand j'ai commencé à pédaler, j'ai perdu l'équilibre et je suis tombée sur le goudron. Ma mère m'a tout de suite amené à l'hôpital pour vérifier si j'allais bien et en a voulu à mon père pendant une semaine. Elle est peut-être un peu trop hypocondriaque.
- Où est papa? je lui demande.
- Il est parti à ta recherche. Je vais l'appeler pour lui dire que tu es rentrée.
J'en étais sûre, elle ne peut s'empêcher de s'inquiéter. Je profite qu'elle appelle mon père pour partir dans ma chambre. Mon maquillage est toujours étalé devant mon miroir, là où je l'ai laissé avant de partir. Mes vêtements sont en désordre sur mon lit. Une envie pressante de tout ranger me vient et je commence à tout remettre à sa place. Après avoir fini, je récupère mon pyjama et je me dirige vers la salle de bain. J'ai besoin de prendre une douche pour me débarrasser des traces qu'il a laissé sur mon corps. Je me précipite sous la douche. L'eau chaude qui coule le long de mon corps détend mes muscles et les ramollit. Je commence à me laver frénétiquement pendant de longues minutes. Je n'arrête pas de penser à ses doigts sales sur ma peau et à sa bouche venimeuse sur mes lèvres et dans mon cou. J'insiste tellement sur les endroits qu'il à touché, que ma peau prend une teinte rouge. Je me griffe les bras et le visage, je me tire les cheveux et me mords l'intérieur des joues mais rien n'y fait. Des flash-back me reviennent sans cesse dans la tête et j'entends encore sa voix qui me chuchote et m'ordonne de me taire. Je sens que je vais devenir folle si ça continue. Revivre cet épisode est un calvaire. Quand est-ce que ça va s'arrêter? Quand je n'ai plus d'énergie pour continuer de lutter contre ces souvenirs, je m'écroule par terre en pleurs, le corps et l'esprit à vif.
Quand j'arrive enfin à trouver le courage nécessaire pour sortir de la douche, j'enfile mon pyjama et me regarde dans le miroir. La personne qui s'y reflète n'est pas moi. Celle-ci est vide, son regard est froid et son visage inexpressif. C'est l'opposée exacte de celle que j'étais avant, une fille pétillante et pleine de vie. Je n'aime pas celle que je suis devenue, mais je ne peux pas faire autrement. C'est impossible. Quand je regroupe mes cheveux pour me faire une queue de cheval, je remarque deux marques violettes dans mon cou. Il a marqué ma peau, et en a pris du plaisir. Je retourne dans ma chambre épuisée et me dirige vers mon lit pour me coucher. Je n'arrive pas à m'endormir et je ne le veux pas. Je sais d'avance qu'il s'immiscera dans mes rêves pour les transformer en cauchemars, et je ne peux pas le laisser faire. Malheureusement, la fatigue a raison de moi et je n'arrive plus à retenir mes paupières qui deviennent de plus en plus lourde. Je finis par céder, certaine de ne pas être seule.
VOUS LISEZ
Ce qui m'a sauvé
RomansaSubir un viol est déjà une chose horrible, mais devoir croiser son agresseur tous les jours est bien pire. Romy Dubois, une jeune lycéenne , est obligée de retourner au lycée après son agression. Au départ souriante et pleine de vie, revoir son agr...