Inspirez.
Sentez.
Criez.Vous êtes sur le toit de cette maison qui vous est familière - surprenamment peut-être, mais vous ne sauriez en être sûrë - entouréë par des immeubles qui, tout en vous étant encore connus, vous semblent extrêmement lointains et vagues. Vous sentez la brise fraîche qui vient enfin refroidir cette longue journée de labeur, ensoleillée et moite. Autour de vous, tandis que le soleil, qui a déjà abandonné le jaune aveuglant, s'abaisse rapidement vers un orange doux, aussi énigmatique qu'éphémère, et pourpré par la lune jeune et prédatrice, qui, en étendant son emprise sur le ciel, repousse toujours plus loin cette ligne de front surréelle, les fenêtres environnantes, elles, s'illuminent puis se muent dudit orange audit jaune par niveaux discrets, comme si l'énergie du soleil s'était transférée au moyen de quantas obèses et gondolés dans ce bas-monde. À cette ébauche de palette géante vient encore s'ajouter l'élégance discrète et étrange des nuages semi-concaves et bouffis, grands croissants aux teints rosés délicats comme les pétales d'une fleur timide soudainement admirée, qui semblent, cherchant à vous taquiner, vous narguer avec leurs éclats de rire cristallins venant de leurs cieux inatteignables. Vous entendez, s'élevant par moments au-dessus du bourdonnement automobile de la vallée profonde et étroite cachée derrière le marasme des bâtiments alentours, les pas sévères des chaussures cirées et des talons bruyants, pressés de rentrer chez eux pour oublier la folie des huit heures précédentes ; et puis vous flairez une odeur légère et familière : c'est celle des lavandes du petit parterre en bas de la maison. Or chaque nouvel instant, chaque vingt-quatrième de seconde vous oblige à reprendre en considération et réévaluer l'intégralité de ce cadre riche, lourd et subtile qui, par sa simple existence, vous emmitoufle et vous oppresse...
Écoutez.
Allongez-vous.
Expirez.Et pourtant, vos yeux, indéboulonnables, restent inlassablement rivés sur ce livre que vous tenez fermement dans vos mains, qui semble décrire avec mainte exagération votre environnement proche ; mais uniquement "semble", car vous ne sauriez être sûrë que ce qui y est écrit correspond bien à ce qui se trouve autour de vous. Confusë, vous ne savez plus si le livre que vous venez de vous mettre à lire a fini par altérer radicalement le paysage autour de vous ou si c'est cette incroyable vue (et non lue ?) divine qui a réussi à transfigurer le livre que vous lisiez sans grand entrain depuis quelques heures. En conséquence, vous vous sentez très fortement tentéë de décoller ne serait-ce qu'un tout petit peu vos yeux du texte, pour être sûrë que vous n'êtes pas en train de devenir légèrement fou (furieux) ; mais vous voyez bien que vous ne pouvez définitivement pas, car, la brise parfumée, les claquements des chaussure, la chaleur insidieuse, le bain de couleurs, toutes ces petites choses sensibles décuplées compressent inlassablement votre champ de vue, le limitant à ces petites lettres qui dessinent savamment la page de leurs boucles gracieuses. Alors, remarquant d'un coup d'œil fièvreux la fin imminente de ce récit, lasşë, abattuë par toute cette euphorie, vous vous abandonnez finalement à ce doute intolérable et savourez quelques instants cette impression fluette ; puis, le goût sublime de l'Impossibilité apparaissant soudainement dans votre bouche, vous fermez le livre, prestement et contre votre volonté - autrement vous vous seriez retrouvé submergéë - tout en cherchant à imaginer la saveur ultime de l'Absolu en utilisant l'arrière-goût encore présent sur votre langue et en laissant les derniers mots du texte résonner longuement dans votre esprit : 《C'est peut-être ça, la littérature》.
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Le foyer
Narrativa generaleRéunion artificielle de textes aux origines diverses et aléatoires