Ils n'arrivaient pas à se séparer, deux ou trois bourrades dans le dos, quelques pas de côté et immédiatement les deux amis de toujours retombaient dans les bras l'un de l'autre. Comme deux animaux ils avaient besoin de se renifler, de se toucher, de se palper. Ils riaient de concert mais c'était un rire grave, de grand bonheur, gonflé de nostalgie et de milliers de souvenirs. Ama les regardait debout, le torchon à la main, silencieuse, émue aux larmes. Pour rien au monde elle n'aurait manqué ce spectacle, ces deux garçons représentaient ce qu'elle avait de plus cher au monde. Ils lui étaient aussi précieux que sa main droite et sa main gauche.
-Ama, comme d'habitude, tu nous a régalés! Et les quantités? Tu nous prend pour des Gargantua! Regarde je suis obligé de dégrafer mon pantalon, je vais exploser! Peyo raclait les "r" comme les gens de ce pays. Julien adorait l'entendre parler. Cette musique était celle de leurs quatre cents coups lorsqu'ils étaient gamins. Comme il aimait ce garçon, comme il lui faisait du bien, avec sa faconde et sa lucidité du terroir.
-Bon les garçons je vous laisse, c'est l'heure du coucher des grands-mères.
-Ama ! Toi une grand-mère, tu es la plus jolie fille de Saint Jean!
Julien se délectait des boutades de son ami. Mais il avait l'oeil et avait parfaitement perçu le rose qui était monté aux joues d'Ama. Toujours coquette notre Ama pensa Julien en souriant. Il se leva, embrassa Ama, l'accompagna jusqu'à sa chambre, il revint avec deux verres et une bouteille neuve de manzana. L'heure des confidences, des souvenirs était arrivée. Ils avaient la nuit devant eux, un bon feu de cheminée, ils se coucheraient beaucoup plus tard. En préambule, Peyo lança:
-Bon demain je t'emmène à Aïnhoa, on montera à l'Oratoire et on fera le sentier de la chapelle, pour une mise en jambes ce sera parfait.
-Tu es sûr? Je suis vraiment dans une forme pathétique, je vais peut-être m'écrouler.
-Tu rigoles ou quoi, même les mémés, elles montent à l'Oratoire pour la procession de Pentecôte.
-Oui, mais ce sont les mémés du Pays Basque. Moi je suis comme une mémé citadine.
Peyo éclata de rire.
-Bon ma vieille, ne t'inquiète pas, je veillerai sur toi, à la moindre défaillance je te ferai du bouche à bouche.
La soirée démarrait fort, ils trinquèrent en se marrant. C'est sûr, ils n'étaient pas prêts de se coucher.
Le lendemain matin, à huit heures, tout le monde était sur le pont. Ama avait préparé des litres de son fameux café "qui réveillerait un mort". Peyo en avait mis dans un thermos plus deux solides sandwichs au jambon et fromage du pays. Il fallait parer à toute éventualité, la randonnée en montagne demandait un minimum d'organisation. Julien était entre de bonnes mains,son copain arpentait à longueur d'années les sentiers du Pays Basque pour les Eaux et Forêts. Rien ne serait laisser au hasard.
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Oxygène
Short StoryJulien est écrivain, ces derniers écrits commencent à rencontrer un succès certain. Il doit très prochainement rendre son dernier opus. Et là à quelques semaines de la date fatidique, il connait une panne d'inspiration phénoménale. Il tourne en rond...