Deux heures plus tard, ils chargeaient leurs sacs à dos, prenaient leurs bâtons dans le coffre de la voiture stationnée sur le parking du trinquet, désert à cette heure et surtout à cette période de l'année.
-Tiens mets ces chaussures de randonnée! lance Peyo.
-Ah bon? Mais j'ai aux pieds des chaussures de marche!
-Oh Julien! Ne fais pas ton Parigot! On est en hiver, tu penses que les sentiers sont comment? On n'est pas au square de ton quartier, ici! Par endroits il va falloir crapahuter dans la boue, alors fais ce que je te dis!
-Ok mec! Ne te crispe pas!
-Je ne me crispe pas, je n'ai surtout pas envie de finir la "rando" avec toi sur le dos parce que tu auras glissé et que tu te seras tordu la cheville.
Julien acquiesce d'un signe de tête, puis son regard se porte sur la montée qui les attend. Il est sûr qu'il va en baver un maximum. Il y a tellement longtemps qu'il n'a pas soumis sa carcasse à une telle épreuve. Il ne dit rien. Peyo est là, cela le rassure. Et puis dans son for intérieur, il sent qu'il a besoin de se faire mal physiquement et qu'au bout du compte cet effort lui sera plus que salutaire.
-Allez c'est parti !dit Peyo en tapant sur l'épaule de son copain. On commence tout doux, il y a une heure de grimpette et par moments c'est un peu raide.
-Comme si je connaissais pas.
-Je sais que tu connais mais je préfère que tu mesures ton effort. Je me rappelle très bien nos excursions d'antan, tu partais comme un V2 et tu finissais sur les genoux. Seule différence tu as quinze ans de plus, une vie de citadin, nous sommes en hiver, il n'y aura pas âme qui vive sur le sentier, donc je gère la sécurité.
Julien reconnait parfaitement son ami. Quand il est en situation de responsabilité, il ne transige sur rien. Peyo a raison sur toute la ligne. C'est pourquoi il ne dit plus un mot et s'applique à respecter scrupuleusement les consignes données par son ami. Ils ne se parlent plus. Julien écoute son coeur frapper dans sa poitrine, il jalonne ses pas sur sa respiration, il essaie au maximum de doubler son temps d'expiration sur celui de l'inspiration. Peu à peu le rythme s'impose, la détente arrive et il commence à humer les senteurs environnantes. Elles sont fortes, les odeurs de terre, de végétaux en décomposition, de fermes, des animaux dans les enclos. Les sons aussi, leurs pas, leurs souffles, le frapper de leurs bâtons de marche qui scandent leur allure, les cailloux qui roulent, le ruissellement de menus cours d'eau, le cri des rapaces qui tournent très haut au-dessus de leurs têtes. L'air est vif, le ciel gris mais pas plombé, la pluie ne viendra pas ou pas encore, que bien plus tard. Il va de mieux en mieux, il le perçoit jusqu'au bout de ses doigts. Il n'a plus les poings serrés.
Pue à peu, les derniers paragraphes de son manuscrit lui reviennent en mémoire. Il commence à les détricoter et à retrouver la structure de ce texte qui semblait vouloir finir en voie sans issue. Curieusement il ne butte plus et plusieurs options s'offrent à lui. Mentalement il les ordonne et leur donne un titre.
-Ca va? dit Peyo en se retournant.
-Hum, hum répondit Julien.
Peyo comprend alors que son copain est en pleine cogitation. Il ne dit plus rien. Il connait ces moments où Julien bien que présent s'extraie du monde et part dans ses pensées. Il a le plus grand respect pour son travail intellectuel, qui en plus lui réussit si bien. Lui aussi, comme Ama, est très fier de Julien. De plus marcher en silence est une des choses que préfère Peyo. Pour lui aussi c'est un moment précieux, très salvateur. Il mène l'exercice presque comme une méditation. Les deux garçons se sourient, simplement, sûrs de leur amitié et de partager encore une intense communion simple et fraternelle.
Qu'est-ce que c'est bon. Seuls leurs estomacs troublent la magie de l'instant. Ils s'assoient sur un gros rocher plat qui surplombe la vallée et dévorent l'en-cas préparé par Ama.
-On repart?
-Bien sûr, tu ne peux pas savoir comme je suis bien. Tu sais quoi Peyo?
-Vas-y, je t'écoute.
-Je crois bien, non je suis sûr que ces deux marches vont dérouiller mon imagination. J'ai déjà plusieurs grandes lignes en tête pour continuer mon roman.
-Formidable! C'était bien le but d'ailleurs ce retour parmi nous? Pas vrai?
-Tout-à-fait! Et comme dirait l'autre ça marche à tous les coups!
-Pas mal la blague à deux balles! En tout cas j'en connais une qui va être contente.
En pleine euphorie ils se lèvent comme un seul homme et finissent leur randonnée par un rythme soutenu, ponctuée de franches rigolades et d'un bavardage ininterrompu. Arrivés à la voiture, ils se changent et se dirigent vers le seul café ouvert.
-Bravo Julien! Sur ce coup tu n'as pas démérité, je te pensais moins en forme que tu ne l'es. Tu m'as épaté.
-Merci mon ami, je ne suis pas encore trop Parigot, alors? Allez viens je t'offre le meilleur demi de ta vie. Celui après l'effort avec une vraie bière basque! Pas vrai?
-C'est sûr et on demandera au patron de nous couper un peu de jambon et de fromage, j'ai encore la dalle.
-T'inquiète moi aussi!
En entendant la voiture, Ama bondit hors de chez elle. Alors?
Julien la prend dans ses bras et la fait tourner comme pour une valse folle.
-Doucement, je vais me casser la figure. Tu es fou! Qu'es-ce qu'il t'arrive?
-Il y a que ton Julien n'a pas perdu ses mollets et que "cerise sur le gâteau" il a retrouvé ses esprits et qu'il a de la matière pour finir son bouquin.
-C'est vrai?
-Parfaitement!
Je n'ai qu'un mot à dire "Bravo"! Peyo tu restes ici et tu dînes avec nous?
-Non Ama, je dois partir, demain je bosse, j'ai des relevés à faire au-dessus de Saint Pé et sur le pourtour du lac. Je vais retrouver ma tanière de vieil ours célibataire. A bientôt tous les deux!
-Tu seras toujours le bienvenu, à bientôt mon grand!
-Salut Peyo, moi aussi demain et les jours suivants je bosse, je sens que j'ai la cervelle en ébullition, le Mac va chauffer!
En se dirigeant vers la maison Ama ne peut s'empêcher de farfouiller dans les cheveux de son Julien. Même si pour accomplir ce geste, elle doit se hisser sur la pointe des pieds. En réponse, Julien la serre fort contre lui.
-Tu sais Ama, toi et ce pays vous m'avez toujours fait beaucoup de bien. Je vous aime infiniment.
Ama cette fois n'a pas envie de cacher son émotion. Elle met sa tête sur l'épaule de Julien, lui un bras autour de sa taille et tels des amoureux enlacés ils rentrent à la maison.
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Oxygène
Short StoryJulien est écrivain, ces derniers écrits commencent à rencontrer un succès certain. Il doit très prochainement rendre son dernier opus. Et là à quelques semaines de la date fatidique, il connait une panne d'inspiration phénoménale. Il tourne en rond...