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« À cause de toi, elle était seule, détestée » paraissait me réprimander le regard accusateur de mon reflet. Et malgré le labyrinthe dans lequel je m'étais aventuré, aucune issue ne pouvait me dédouaner de ce blâme plein d'amertume. Aucune issue ne me permettait de fuir la réalité. Car la réalité était réelle...

D'une des fenêtres de la cafétéria, le soleil rayonnait, rendant son teint et ses yeux mordorés. Tala regardait son téléphone d'un air absent alors que le monde autour d'elle ne cessait de tourner.

Je n'avais jamais compris sa facilité à plonger dans ses pensées sans que personne ne s'en aperçoive. Déjà au collège, elle ne faisait que ça. Et cela avait le don de m'énerver. Alors je brisais son sort d'invisibilité, riais de son visage, de son corps, de sa tête et de tout ce que je trouvais irrésistible chez elle.

J'étais idiot de ne pas simplement lui dire que ses cheveux tressés lui allaient bien. Mais on nous chantonnait que les garçons embêtaient les filles qu'ils aimaient à la folie ou leur prêtaient beaucoup d'attention quand ils avaient été la cible de Cupidon... Et j'y avais cru. Bêtement cru.

La cafétéria avait été un enfer pour Tala. Durant toute sa scolarité, elle y était livrée à elle-même, face à des animaux qui la convoitaient d'un œil rieur. Même aujourd'hui, à l'université, elle était toujours leur cible. C'était elle, le festin du réfectoire.

Lucipilla et ses amies ─ toutes semblables les unes aux autres ─ étaient à sa table au moment où je levais les yeux pour la contempler une énième fois. Elles se moquaient d'elle dans un son qui n'avait rien de mélodieux. Et, comme toujours, Tala ne réagissait pas. Même lorsqu'elles fouillèrent dans son sac et prirent son carnet. Immobile. Comme un roc.

Mais alors que tout le monde rejouait son rôle habituel, le script de la pièce prit une tournure divergente. D'une tranquillité déconcertante, Tala tourna la tête vers le ciel et le contempla comme si elle souhaitait lui transmettre un message. Puis elle s'en alla d'une démarche qu'aucune fille n'aurait pu imiter. Une démarche de la délicatesse d'une fleur venant d'éclore. Une démarche de reine qui n'avait que faire de la voix révolutionnaire que pouvait prendre le peuple : nous.

Tala était belle et gracieuse. Elle ne le savait pas, mais elle était ravissante. Tellement élégante que j'avais une envie folle de la rendre vulgaire. Découvrir les failles et imperfections qu'elle cachait au fond d'elle. "Pervers", diraient certaines personnes, mais j'étais loin de l'être : mon cœur était juste insatiable de cette déesse au somptueux tableau couvert d'un voile.

Je me levai de ma chaise lasse et avançai d'un pas rapide vers Lucipilla, s'esclaffant telle une poule, le journal volé à la main. J'arrachai l'ouvrage de ses pattes, puis partit sans prêter attention aux caquètements du zoo dont je m'éloignai à vive allure.

Pour Tala, l'ignorance pouvait faire taire le pire des monstres. Mais elle avait tort. Terriblement tort.

À force d'ignorer, on encaisse les attaques.

On augmente la confiance de l'adversaire. Puis on se laissait faire.

Plus on se laisse faire, plus on s'habitue.

On s'habitue.

On s'habitue.

On s'habitue.

On se tue.

TALA : IL N'AVAIT D'YEUX QUE POUR ELLEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant