« Dépêche-toi Lensa, nous devons être à l'heure pour la Grande Procession ! » gronda ma mère dans toute la maison depuis l'aube.
Aujourd'hui était un grand jour.
Cette année-là, j'avais atteint mes dix-huit ans ; c'était l'âge auquel il fallait effectuer le rite de passage. Cette cérémonie était indispensable pour être officiellement considérée adulte dans la cité et recevoir mes premières Possessions. Depuis mon plus jeune âge, j'assistais aux Grandes Processions jusqu'à un certain point où les enfants n'étaient plus autorisés. Il y avait quelque chose d'obscur dans cette tradition qui s'éclaircirait sans doute ce soir. D'après ma mère, en me joignant à la totalité du rite, je sentirais en moi une appartenance définitive à la cité et à notre déesse Ricus. J'appréhendais quand même cette soirée charnière de ma vie. Je m'éternisais dans ma chambre, devant mon miroir, à démêler ma longue chevelure châtain clair. Parfois je m'arrêtai de brosser et fixai mon reflet dans le miroir. Ça y est, c'était le grand jour. Je ne le réalisais toujours pas.
« Ricus ne te donnera pas de richesse si tu ne fais pas d'efforts ! Pense à ton futur dans la cité. »
Ricus par-ci, Ricus par-là. Toute mon enfance, j'ai été bercée par le nom de notre déesse. Elle nous comblait de richesses à chaque Grande Procession. C'était l'événement annuel majeur pour toute la cité. Au-delà de la présentation des nouveaux citoyens, elle permettait de remettre le compteur des richesses à zéro, ainsi tous les foyers de la cité recevaient de nouvelles Possessions. En fonction de la quantité et de la valeur des Possessions que Ricus nous accordait, une caste nous était attribuée. Il était donc possible changer de caste d'une année sur l'autre en fonction de notre comportement envers Ricus.La cité était divisée en quartiers représentant les limites géographiques de chaque caste. Les castes étaient au nombre de cinq. Elles avaient toutes été créées par notre divinité et étaient donc toutes légitimes. Chaque quartier se différenciait par l'architecture des bâtiments, leur taille, l'état d'entretien des rues, des murs et le nombre de services de proximité notamment.
La caste la plus élevée était la caste princière ; c'était là où se situait Vanitas – le prince de la cité nommé par Ricus – ainsi que toute la famille royale : les ancêtres et les descendants du prince jusqu'à un certain degré. Il m'avait été dit que l'on y trouvait le plus grand et le plus élégant manoir de la cité. Je n'ai jamais réellement eu l'occasion d'y pénétrer, c'était un quartier où « on ne foule pas le pied si on n'y est pas convié » d'après ma mère.
Un peu plus loin, on retrouvait la caste noble qui comptait tous les habitants les plus riches et donc les plus estimés par Ricus qui n'étaient pas de sang royal. J'ai eu quelquefois l'occasion de visiter ce grand quartier. J'étais à chaque fois stupéfaite par la taille de chaque propriété : certaines familles possédaient des immeubles entiers. Chaque foyer avait une architecture à son image créée par Ricus, c'était dire combien elle les considérait. Certains avait des maisons imposantes avec des colonnes en pierre blanche, d'autres des maisons plus fleuries, aux balcons ornés de volutes et d'arabesques.
Derrière la caste noble se trouvait la caste moyenne, celle à laquelle appartenait ma famille ainsi qu'une grande majorité de bons citoyens désespérés de monter leur classement auprès de la déesse. Il s'agissait en fait de la majorité des habitants de la cité. Notre quartier était assez simpliste ; la plupart des familles habitaient dans des appartements ou des petites maisons aux couleurs crèmes, neutres. Il n'y avait que deux modèles d'habitations : des maisons blanches au toit rectangulaire avec un étage ou des immeubles ivoire de trois étages avec le rez-de chaussée. Pour couper l'aspect douceâtre du quartier, les rues étaient fleuries par les habitants, apportant des touches de couleur chaleureuses et accueillantes. Il y avait tellement de monde que notre quartier était divisé en districts.
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La Nouvelle Religion
General FictionLensa vit depuis son enfance dans une cité régie par les richesses. Pour être plus riche et important, chaque citoyen se doit de prier et d'appliquer les préceptes de la déesse de la cité : Ricus. Lensa a toujours eu du mal à s'intégrer dans cette s...