La nuit fut très courte. Je n'avais pu fermer l'oeil que deux ou trois heures tout au plus. Je repensais aux cadavres calcinés, brûlés sur la Place de l'Adoration et des Sacrifices. Malgré cela, il fallait que je me ressaisisse. À l'école de Ricus, nous apprenions le déroulement d'une chasse. Tous les chasseurs se réunissaient près de la dense forêt de conifères qui bordait notre cité. Ensuite, le prince Vanitas nous divisait en escouades chargées de récupérer les différentes denrées telles que gibier, fruits, légumes, céréales et poissons. Tous ces produits étaient censés être récupérés dans la civilisation voisine ; les terres de Nasco. Nous avions appris que ces individus étaient des sauvages qui méritaient d'être pillés car ils avaient autrefois attaqués nos ancêtres. Il s'agissait de leur sentence éternelle. Ces êtres manquaient cruellement d'éducation, Ricus avait donc décidé que nous devions détester et traiter cette humanité comme inférieure et barbare.
Le soleil n'était pas encore levé mais toute ma famille se préparait. En tant que nouvelle citoyenne issue d'une famille de chasseurs, il était de mon devoir de suivre les pas de ma famille et donc de chasser. Il en allait ainsi dans la cité. Nous enfilions l'équipement de chasse composé d'une épaisse combinaison noire couvrant tout le corps, ainsi qu'une longue cape noire dotée d'une large capuche. Puis, nous accrochions à la taille une sacoche où étaient rangés des couteaux de tailles diverses ainsi que de torches et des allumettes. Nous devions porter également de gros souliers bien résistants et un énorme sac pour rapporter les denrées. J'avais l'impression de partir à la guerre. Je descendis les escaliers de ma chambre pour rejoindre mes parents.
« Lensa, suis attentivement les ordres de ton général d'escouade. Tu es débutante. Ne prend pas trop de risques pour l'instant, observe beaucoup. » me dit mon père sans même me saluer. C'est ainsi que nous nous dirigeâmes vers la lisière de la forêt. Tous les chasseurs de la cité s'amoncelaient, et bientôt je perdis la trace de mes parents dans la foule.
Le prince était en tenue de chasse. Son regard perçant, gris argenté, sévère et sournois lui conférait une autorité naturelle et indiscutable, mais surtout un visage de renard à mon goût. Chacun se tut en attendant les instructions. Vanitas expliqua que pour cette chasse, la première lettre de notre prénom définissait l'escouade à laquelle nous appartenions. Entre K et N il s'agissait de l'escouade chargée de récupérer des céréales. Je me dirigeai donc vers mes partenaires de chasse avec qui je me hâtai en direction de la Grande Ferme sur les terres de Nasco. Le général avait bien expliqué la méthode : s'infiltrer le plus discrètement possible, voler les récoltes, s'enfuir en courant le plus vite possible, et bien sûr utiliser la force si nécessaire. Réticente, je suivais l'escouade à travers la forêt. Après tout, je devais surtout observer en tant que débutante. Ces hommes et ces femmes, au visage impassible, me avaient tout des guerriers agiles. Leur démarche insufflait un respect immense aux jeunes recrues. Ils avançaient rapidement d'un pas leste et au moindre bruit, ils se camouflaient immédiatement. La traversée fut bien calme et silencieuse, telle un serpent humain se faufilant silencieusement entre les vastes ramures des pins et des épicéas. On pouvait humer la végétation humide. Le jour n'était pas complètement levé, seules les torches éclairaient le chemin de cette marche quasi militaire. Bientôt, j'aperçus tant bien que mal au loin une clairière où un amoncellement de bâtisses tapissait le sol.
« Nous entrons sur les terres de Nasco. Sachez qu'ils sont tous vos ennemis. En cas de problème, utilisez la force. » déclara fermement le général.
Très discrètement, notre escouade s'introduisit sur ces terres inconnues. Nous ne voyions pas grand chose dans le noir. Mais j'avais l'impression que toutes leurs maisons étaient identiques. Chez nous, les différences se ressentaient très fortement en fonction des quartiers. Ici, les maisons étaient cubiques, sobres, à la peinture blanche crème et au toit en tuiles rouge bordeaux. Je passais rapidement devant un énorme bâtiment orné de fresques multicolores dont je n'avais aucune idée de l'usage. Je ne distinguais pas grand chose de ce qui était dessiné d'ailleurs, simplement des tâches de couleurs. Tout était si calme, c'était irréel. On aurait cru que cette cité était totalement vide, inhabitée. Ou peut-être au contraire les habitants étaient reclus chez eux car effrayés par nos troupes ? Ce serait bien étonnant, les habitants des terres de Nasco étaient pareils à des sauvages sans pitié d'après nos professeurs d'école.
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La Nouvelle Religion
General FictionLensa vit depuis son enfance dans une cité régie par les richesses. Pour être plus riche et important, chaque citoyen se doit de prier et d'appliquer les préceptes de la déesse de la cité : Ricus. Lensa a toujours eu du mal à s'intégrer dans cette s...