Chapitre 2 - La cour du roi soleil

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Le Juge :

— Bien, puisque vous évoquez votre mère et que vous semblez prendre sa défense, écoutons là. Je vous en prie Suzanne Lorcia, prenez place à la barre des témoins, dis-je, oubliant le procès pour lequel je suis venu aujourd'hui.

Le procès a repris, l'artiste est revenu. Je ne l'ai pas laissé placer un seul mot à celui-là. J'ai tout de suite repris la main pour imposer le rythme et le ton. Cette fois, pas de scène, je ne le tolérerai pas.

Elle s'avance calmement et sagement à la barre. Elle est plus reposante que son fils, elle. Je ne comprends pas comment il peut lui être affilié. Il est si faible et ridicule, si fou et maladroit, alors qu'elle, elle est belle, grande, sage, calme, intelligente, une vraie reine. Je l'admire mais ne puis pas le montrer, je dois être juge et non moi.

Ce contraste avec son fils me fait me souvenir de l'objectif de ce procès. Je ne suis pas ici pour juger les témoins. Non, je dois juger le prévenu. C'est lui le responsable de tous ces malheurs, lui qui a créé ce que les témoins nous raconte, lui qui a façonné les mondes, allumé les étoiles, fait brûler la flamme de nos vies, lui qui nous a inculqué les sentiments, qui nous a fait aimer, pleurer, rire, détester. Mais la seule chose que je retiens, la plus importante, c'est que, quoi qu'il en dise et quoi que tous pensent, il a détruit et tué.

À elle de témoigner contre lui maintenant, à elle de les convaincre et de leur montrer qu'il est le coupable. Elle doit leur donner les preuves.

— Madame, vous venez ici témoigner contre le prévenu. Qu'avez-vous vu ? Qu'a-t-il fait ? Racontez-nous. Et n'omettez aucun détail, tout a son importance dans cette affaire.

Suzanne Lorcia :

Encore un tour. Cela faisait désormais longtemps que je me trémoussais dans cette danse folle. J'en avais le tourni, à force. Jours et nuits, depuis mon plus jeune âge, j'avais tournoyé. Et je n'étais pas décidé à cesser cette activité qui me passionnait. Elle était comme ma raison de vivre, l'unique et magnifique but de ma longue existence. J'en avais vu des événements. J'en avais vécu des traumatismes. J'en avais observé des changements depuis ma naissance.

Et puis j'avais été malade. Pas très malade, mais malade. Et aujourd'hui encore, je sentais cette maladie me poursuivre. Elle était violente celle-là, crue, indécise. Elle me tourmentait de l'intérieur avec froideur, mais me brûlait en ma surface. La fièvre, toujours plus intense, poussait tout mon être à la révolte. Saisie de spasmes incontrôlables, submergés par des vagues de sueur, je me sentais toujours plus mal. Mais malgré tout, je dansais.

J'étais toujours accompagné dans ma danse. Il y avait la petite rouquine, chaude, sensuelle, toujours à séduire les hommes, la nébuleuse brune, ma voisine sur scène, aux émotions indiscernables, au visage opaque, caché derrière ses mèches tempêtueuses. On était huit en tout, à danser. Nous nous croisions, plusieurs fois dans l'année, mais n'étions jamais tous là en même temps. On avait eu un autre danseur aussi, un jour. Un freluquet celui-là, maigre, petit, faible, distant. Il n'était pas resté longtemps.

Le Juge :

Je la coupe dans son témoignage, je l'arrête, quelque chose m'intrigue. Je la questionne.

— Qu'est-il arrivé à ce freluquet ? Pourquoi n'est-il pas resté ?

Je sentais que son histoire ne tournait pas rond. On n'arrête pas cette danse dont elle parle, c'est impossible. A moins qu'un événement extraordinaire ne survienne.

— Ils l'ont rejeté, eux, les responsables de ma maladie. Il ne devait pas être assez beau et fort pour mériter d'entrer dans son entourage, à lui, fait-elle en désignant un des témoins derrière elle.

Jugement premierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant