Elena

PREMIÈRE PARTIE.

Les yeux dans le vague, la bouche entrouverte pour aspirer plus d'air et les mains tremblantes posées sur mes genoux, c'est ainsi que je me retrouvais à présent. Écoutant à moitié l'homme face à moi qui tentait de m'expliquer en douceur les choses que j'avais déjà deviné. Cependant, je n'entendais que de maigres parcelles de ses phrases, préparées avec soin pour ce genre de situation.

Voiture accidentée.

Homme alcoolisé.

Feu rouge.

Emboutie côté conducteur.

Tonneaux.

Tous ces morceaux de phrases semblaient venir de loin, comme d'à travers un mur. Pourtant, cet homme qui les débitait avec douceur de peur de me briser un peu plus était à deux pas de moi, sans aucun autre obstacle qu'un bureau gris et impersonnel entre nous.
Décidant que tout ce qui allait suivre n'en valait pas la peine, je laissais les souvenirs m'envahir, replongent dedans avec crainte.

* * *

- Met moins fort ! Je déteste cette musique, rit-elle.

- N'importe quoi, arrête de danser si tu la détestes tant, lui répondis-je avec un grand sourire, et sans aucun doute les yeux brillants.

- Je ne danse pas idiot, je suis au volant. Je secoue seulement les épaules, ce n'est pas de ma faute si j'ai un peu mal au dos, rétorqua-t-elle, l'air malin.

Je ne lui répondis pas, préférant la regarder. Le vent léger passant par la fenêtre ouverte faisait doucement voler ses cheveux ondulés, et lorsque nous passions sous un lampadaire éclairant la ville endormie, je pouvais percevoir avec netteté chaque trait de son visage. Malgré cela, je n'en avais aucunement besoin pour le décrire dans ses moindres détails, je la connaissais par cœur. Je devinais dans l'obscurité ses lèvres grandement étirées jusque ses joues et montrant ses dents, ses yeux marron plissés par son sourire et ses fines tâches de rousseurs dévalant de son nez retroussé.
Aucun doute, elle était belle. Vraiment magnifique. En cette belle soirée d'été, cela semblait comme l'évidence même.

- Eh bien, tu as perdu ta langue ? Toi qui es si bavard, se moqua-t-elle en s'arrêtant à un feu rouge.

- C'est juste... Je t'aime. Tu sais pas à quel point je me sens chanceux de t'avoir.

Son sourire se fit plus attendri, et elle se pencha vers moi pour me donner un chaste baiser sur le bout des lèvres.

- Je t'aime aussi Harry, tellement, murmura-t-elle. Et, dit-elle plus fort, j'ai vraiment hâte de visiter cet appartement demain, même si devoir le partager avec toi sera une sacrée épreuve.

- Mais, tais toi, je lui répondis, levant les yeux au ciel. Pour ça, il faudrait déjà que tu réussisses ton examen.

- J'aime quand tu sors tes fossettes, si peu de crédibilité chéri, tu sais que je suis la meilleure de la classe, et bien devant toi d'ailleurs, se vanta-t-elle.

Elle démarra la voiture lorsque le feu passa au vert, et ne semblait pas attendre de réponse de ma part, se mettant à fredonner en rythme avec la musique, tapotant de son index sur le volant à intervalle régulier.

Et soudain, des crissements de pneus, des phares aveuglants, et ma petite-amie à côté de moi qui inspire un grand coup de manière effrayée en prenant ma main dans la sienne dans un réflexe. Puis, un énorme bruit qui me parviens, et après ce n'est qu'une succession de balancements de droite à gauche, nous pourrions presque se croire dans un manège à sensation. Enfin, tout s'immobilisa.

Ce que je remarquai en premier, c'était sa main ayant quittée la mienne. Ensuite, ce fut l'odeur, une odeur que je ne saurais décrire autrement que par le mot horrible. Et lorsque je rouvris mes yeux que je ne savais même pas avoir fermé, je me rendis enfin compte de la situation. La voiture était dans un sale état, tout ce que je voyais à travers le pare-brise était de la fumée. Et quand, dans un effort qui me parut incroyable, je parvins à tourner la tête, une vision d'horreur se présenta à moi. Le cri que je poussai alors de ma voix cassée fut absolument déchirant. Un cri de désespoir.

- ELENA !