V.

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Installée sur le siège passager, je regarde par la fenêtre. Le larbin de mon père m'a bien proposé de m'installer à l'arrière, comme n'importe quel chauffeur l'aurait fait, mais j'ai refusé. D'abord, parce que ce n'est pas vraiment un chauffeur, et ensuite parce que la situation est déjà assez gênante. Je n'avais pas envie d'en rajouter, d'autant plus que lui non plus n'a rien demandé.

D'ailleurs le traiter de larbin, ne serait-ce que par la pensée, n'est pas très sympas. Mais je suis énervée. J'en veux à mon père.

Comment a-t-il pu me faire ça ?

Il me connaît assez pour savoir que je suis timide et que me retrouver seule dans la voiture d'un parfait inconnu n'est vraiment pas une situation dans laquelle je suis à l'aise. Qui le serait d'ailleurs ?

Mais surtout, il a fallu que ça arrive ce matin. J'avais tout planifié, du réveil jusqu'à mon arrivée sur les lieux. Je voulais que tout soit parfait, qu'aucun élément extérieur ne vienne perturber cette matinée qui exigeait calme et concentration. Mais finalement rien ne s'est passé comme prévu, et le stress ne cesse de croître en mon petit être.

Cela fait à peine cinq minutes que nous roulons, mais j'ai l'impression que ça fait une éternité. Dès l'instant où les portes se sont claquées, un silence a envahi l'habitacle. Et depuis, il ne nous a pas quitté.

Un fond de musique aurait sans doute rendu tout cela plus supportable. Mais la radio est éteinte, et je n'ose pas demander de l'allumer.

Même si j'ai toujours été de nature réservée, je sais mettre ma timidité de côté quand les circonstances l'exigent. Mais là, je n'en ai pas envie. En fait, je suis perdue dans mes pensées et j'ai envie d'y rester. J'ai envie d'être énervée contre mon père encore quelques instants. C'est un drôle de sentiment, je sais, mais je trouve qu'il le mérite. Et vous le savez, j'aime bien me la jouer un peu dramatique.

Je regarde ma montre pour ce qui doit être la centième fois depuis le moment où j'ai bouclé ma ceinture. Une minute supplémentaire s'est écoulée. C'est bon, je décide que j'ai eu ma dose de négativité pour la journée. Bouder dans mon coin et continuer de pester contre mon père ne rendront pas ce moment meilleur, au contraire. Cette situation n'était certes pas prévue, mais c'est moi la seule responsable de ma mauvaise humeur.

Papa non plus n'a pas eu le choix que de changer ses plans, et je sais qu'il aurait préféré m'emmener. Je sais aussi qu'il s'en veut, et que mon attitude n'a rien fait pour le rassurer. J'ai feint de ne pas l'entendre lorsqu'il m'a souhaité « bonne journée », et ne me suis même pas retournée pour le saluer alors qu'il attendait sûrement en agitant sa main sur le perron.

J'ai vraiment réagi comme une gamine...

En revanche, il n'était vraiment pas obligé d'appeler un de ses collègues pour voler à mon secours. J'aurais largement préféré prendre les transports, seule. Mais je sais pertinemment qu'il n'a pas fait ça pour m'ennuyer. Il ne voulait juste pas que je reste seule à ruminer tout le temps du trajet.

Et pourtant, c'est exactement ce que je suis en train de faire...

Je décide finalement de quitter la route du regard, et jette à coup d'œil discret à celui qui a accepté de me conduire. Lui aussi s'est muré dans le silence, mais je ne peux pas lui en vouloir. Personne ne prendrait la peine d'adresser la parole à une sauvage comme moi, à sa place je ne le ferai pas moi-même.

Son silence révèle surtout une grande concentration. Ses yeux jonglent de la route à l'écran de son smartphone, il suit les instructions du GPS à la lettre.

À la simple vue de son joli minois, mes tourments semblent s'adoucir. Finalement, la situation aurait pu être bien pire...

Je pourrai parier que n'importe quelle jeune femme se réjouirait d'être conduite par un garçon de ce genre.

Comment je suis tombée amoureuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant