II.

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Mon père est un homme brun, au teint mat. À vrai dire, à quarante ans passés, ses cheveux sont d'avantage couleur « poivre et sel ». Aussi, depuis quelques mois maintenant, il arbore fièrement la fameuse barbe de trois jours qu'il entretient d'ailleurs avec le plus grand soin (je l'ai déjà surpris à utiliser mon huile capillaire pour rendre sa barbe plus soyeuse).

De toute évidence, je dois reconnaître que père est pas mal du tout dans son genre, il a ce style à la fois cool et sophistiqué.

Plus petite, lorsqu'il m'accompagnait à la fête de l'école, j'avais déjà eu l'occasion d'observer son succès auprès des mamans. Toutes s'empressaient de le complimenter d'être l'un des rares papas à être présent à l'événement. Plus que des remerciements de sa part, je pense qu'elles attendaient seulement que mon père pose son beau regard vert sur elles. Lorsqu'il expliquait ensuite la raison de sa présence, à savoir que je nous venions de perdre maman et que part conséquent, il s'occupait de moi, toutes prenaient l'air dévasté et ne pouvaient s'empêchaient d'apposer leurs mains sur son bras en signe de réconfort. Et je détestais ça.

En même temps, je ne pouvais pas leur en vouloir.

J'ai beau le trouver exaspérant au plus haut point lorsqu'il mâche, que dis-je, dévore des chips la bouche ouverte alors que nous sommes en train de regarder une de mes comédies romantiques préférées, j'ai beau me disputer avec lui lorsqu'il me rabâche pour la millième fois de prendre mon temps quand je lave la vaisselle de peur que je n'érafle quelques assiettes (Mais la véritable question est, qui aime prendre le temps de faire la vaisselle ?)... Bref, j'ai beau lui trouver les pires défauts, je dois reconnaître que j'ai aussi le meilleur des pères.

Il faut dire que la vie ne lui a pas laissé le temps de se remettre de la perte de maman. Du jour au lendemain, il se retrouvait seul face à une petite fille de six ans qui n'avait plus de mère. Alors, au lieu de baisser les bras, cet homme brisé a ravalé son chagrin et s'est évertué chaque jour à préserver l'innocence et à assurer le bonheur de sa petite fille.

Entre autres, il s'était promis que je n'aurai pas à supporter une parfaite étrangère comme nounou. Tous mes amis de l'époque étaient amenés à l'école le matin et récupérés le soir par leurs parents, et mon père ne voulait pas que je me sente exclue de cette routine. Il avait alors adapté ses horaires de travail à ma petite vie, et avait pour cela délégué une partie de la gestion de son entreprise à un associé.

À ce moment-là, j'étais trop jeune pour réaliser que mon père sacrifiait une partie de son bonheur au profit du mien.

Son entreprise représentait tout pour lui. Il l'avait imaginé et crée de ses propres mains, et voilà que seulement trois ans après sa mise en place, il employait plus d'une centaine de personnes dans sept magasins différents à travers tout le pays. Il y consacrait énormément de temps, et pourtant même lorsqu'il rentrait le soir tard exténué, on pouvait lire dans ses yeux à quel point son travail le rendait heureux.

Ce n'est qu'au moment où j'allais faire mon entrée au collège que nous avons eu une discussion à ce sujet :

« Tu sais papa, maintenant que je suis grande, je peux aller au collège et rentrer toute seule en bus ou en métro ! »

Papa n'avait pas tout de suite acquiescé à cette idée. Son côté protecteur l'emportait sur son envie évidente de reprendre les rênes de son entreprise :

« Tu es encore petite pour prendre les transports en commun toute seule Maya... En plus, les rames de métro sont bondées avant huit heures, tu risquerais d'arriver en retard ! Et je suppose que tu n'aimerais pas arriver en retard, surtout pour ton premier jour au collège, je me trompe ? ».

Papa n'avait pas tort.

J'ai toujours été plutôt réservée et encore plus lorsque j'étais enfant. Arriver en retard le jour de la rentrée, c'était l'assurance de me faire remarquer par tout le monde. En plus, je ne connaîtrai peut-être personne dans ma nouvelle classe, et tous ces inconnus se moqueront de moi. Je deviendrai le bouc-émissaire de la classe pour le reste de l'année. Ou pire... Peut-être que je ne trouverai même pas la salle de cours ! En tant que tout angoissée qui se respecte, j'envisageais successivement tous les pires scénarios possibles et inimaginables dans ma petite tête. J'avais de plus en plus peur, mais maintenant que j'avais fait ma proposition, je ne pouvais plus faire demi-tour. Je le devais bien à papa.

Nous avions donc trouvé un compromis. Mon père me déposerait au collège le jour de la rentrée, mais dès le soir même et à partir de ce moment-là, je rentrerai toute seule.

« Tu as déjà honte de ton vieux père ? M'avait-il demandé en rigolant, cherchant une explication à ma soudaine envie d'indépendance alors que nous étions en chemin.

- Non, papa. C'est juste que... Que je ne veux plus que tu te sacrifies pour moi.

Je me rappelle avoir prononcé ces dernières paroles avec une fermeté et une détermination qui avait surpris mon père.

- Me sacrifier ? Mais voyons, c'est dans mon rôle de père de m'occuper de toi, de t'amener à l'école, de venir te chercher, de te faire goûter...

Je sentais alors une certaine nostalgie dans sa voix, comme s'il réalisait peu à peu que sa petite fille était en train de grandir.

- Oui, mais maintenant que je suis grande, je peux faire ça toute seule ! Et en plus comme ça, tu pourras passer plus de temps à ton travail, et tu seras encore plus heureux !

Papa venait juste de se garer devant le collège. Il avait alors coupé le moteur et s'était tourné vers moi. Le regard qu'il posait sur moi à cet instant-là était d'une infinie tendresse.

- Maya écoute moi bien. De un, tu as douze ans, tu es encore petite. Et quand bien même tu auras trente ans, je t'annonce que tu seras toujours petite.

Ce à quoi j'avais répondu par une mine boudeuse.

- Et de deux, c'est vrai que mon travail me rend heureux. Mais tu sais ce qui me rend encore plus heureux ? Toi. Parce que tu es ma plus grande joie. Tu es la meilleure chose qui me soit jamais arrivé Maya. Alors ne pense plus jamais que je me sacrifie pour toi, parce que je n'ai jamais été aussi heureux qu'en m'occupant de ma fille. »

Malgré la tristesse qui avait fait irruption dans notre vie, quelques années auparavant, je n'avais jamais vu mon père pleurer. Et même cette fois-ci, au bord des larmes, il continuait d'esquisser ce sourire.

Je m'étais alors penchée vers lui pour le serrer aussi fort que possible entre mes petits bras. Puis, constatant à la sonnerie qu'il était déjà huit heures, j'avais quitté la voiture lui adressant un dernier geste de la main.

Je n'aurai pas pu rêver meilleur au revoir pour embrasser ma nouvelle vie de collégienne.


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Bonjour à tous,

Merci d'être encore là. 

Le prochain chapitre sera exclusivement réservé à Maya, à qui elle est et comment est sa vie à maintenant dix-huit ans.

J'espère que vous n'avez pas trouvé ces deux premiers chapitres trop longs, mais je trouvais important de présenter le passé de Maya pour mieux comprendre son personnage.

N'hésitez pas à me donner votre avis, ça ne vous prendra qu'une petite minute et ça me ferait beaucoup plaisir ! 

A très bientôt. -E

Comment je suis tombée amoureuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant