bleu, orange, or, marron, noir

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− Wow, c’était quoi ça ? C’est une question rhétorique. Bien évidemment que personne ne va me répondre puisque je m’adresse à moi-même.

C’était puissant quand même, j’ai encore des petits picotis dans la main. Je n’ai pas rêvé quand même ? J’ai bien vu cet éclair d’énergie. Pourtant, il est parti aussi vite qu’il est arrivé. Rien n’a brulé autour de moi. Aucune odeur de cramé se dégage de la fermeture éclair de mon sac, elle n’est pas chaude non plus. Pourtant je suis persuadée que ce condensé d’énergie, si s’en était un, pouvait être assez puissant pour allumer un feu. Je l’ai sentie, au plus profond de mon être, cette force incommensurable. Malgré ce qu’il vient de se passer, aucun indice prouve que ce que j’ai vu était réel. Je jette un coup d’œil à l’horloge qui orne un des murs de ma chambre. Il est 23 heures passées. Je dois être fatiguée, j’ai sûrement dû commencer à m’endormir. Ou alors c’était de l’électricité statique. Pas de quoi m’inquiéter.

Je me rends compte qu’il faut que j’arrose mes plantes. Je m’exécute puis je n’attends pas plus longtemps pour aller me coucher. J’ai l’impression d’avoir pris quelque chose, de l’alcool ou une drogue alors que je n’ai quasiment jamais goûté l’un et que je n’ai jamais touché à l’autre. Mes yeux étranges me jouent des tours. Même si au fond de moi, imperceptiblement, je sais que j’ai ressenti quelque chose. Mais je suis trop fatiguée pour y réfléchir. Et puis, sincèrement, qui, dans ce monde, serait capable de lancer des éclairs bleus assez puissants pour allumer un feu, sans allumer ce fameux feu, en voulant fermer son sac de cours. Ça n’a aucun sens. En tous cas, c’est ce que mon côté terre à terre n’arrête pas de me répéter. Je divague encore, j’ai l’impression. Il faut vraiment que je dorme ou je vais devenir folle à cause d’un évènement tout à fait banal qui n’a aucun besoin qu’on s’attarde sur lui. C’est vrai, qui a déjà réfléchi pendant, au moins, trois quarts d’heure, sur un éclair d’électricité statique. Je crois bien que je suis la seule.

                                *

Le lendemain matin, mes interrogations et mes doutes sont déjà passés aux oubliettes. Je décide de ne pas me faire un sang d’encre par rapport à ce qu’il s’est passé hier soir. Il faut relativiser, personne n’est capable de faire jaillir un éclair de ses mains. C’est insensé. Comme on dit, la nuit porte conseil, ou dans mon cas, dormir me fait relativiser. J’ai tendance à me prendre la tête pour des trucs insignifiants et ça risque de me gâcher la vie si je continue de radoter sans cesse.

C’est une nouvelle journée de cours qui commence et comme Clément commence plus tard il m’accompagne au lycée, pour mon plus grand bonheur. J’ai déjà dit que j’aimais passer du temps avec lui ? Nous sommes début mars et les jours ont déjà commencé à rallonger. Ça se ressent aussi au niveau de la température, il fait plus doux et c’est agréable d’aller à l’école à pieds. Je peux commencer à entendre les oiseaux chanter et ça me met encore plus de bonne humeur. Comme quoi il m’en faut peut. Mine de rien, ça me fait du bien d’avoir un lien, aussi infime puisse-t-il être, avec la nature, comme par exemple le chant de ces oiseaux, au beau milieu du centre-ville. Sur le chemin se trouve un parc. On s’y arrête un instant. J’adore cet endroit, ce lien avec la nature. Ici, il y a une odeur de frais. Ça sent l’herbe fraiche et la terre. Comme il est encore trop tôt dans l’année, il n’y a aucune fleur, ni dans les arbres, ni au sol. Même si je sais que ce n’est qu’une question de temps : dans deux semaines, certaines plantes auront déjà repoussé. Une sensation de bien être s’empare immédiatement de moi et j’aurais bien envie de m’assoir par terre - malgré les 12°C - dans l’herbe pour profiter de ce petit coin de nature.
− Clément, toi aussi tu le sens ? lui ai-je demandé, tout bas, pour ne pas briser la magie de ce moment.
− Sentir quoi ? Je me les gèle moi, et si on continue de trainer, je vais perdre mes doigts.

Bon ok, je suis la seule de nous deux à ressentir ce bien être au contact de la nature. Je me demande bien à quoi ça ressemble de vivre à la campagne. Ça doit incroyable d’être entourée de la végétation quasiment toute la journée. Face à la bonne humeur apparente de mon ami, je presse le pas pour arriver plus vite au lycée. C’est un vrai frileux ce Clément !

Une fois arrivés, et comme je suis une très bonne meilleure amie, je lui paye un chocolat chaud tout droit sorti de la cantine pour le réchauffer. Je sors ma thermos de thé que j’avais préparée avant de partir. Ça coûte moins cher ! Nous nous dirigeons dans le foyer, ou plus communément appelé « l’endroit ou les élèves vont quand ils ont un creux dans leur emploi du temps » oui c’est long comme nom. Certains considèrent ce lieu comme leur QG. Je n’y vais jamais, il y a souvent beaucoup trop de monde et de bruit mais comme Clément n’est pas élève ici, je ne veux pas courir le risque de l’emmener dans un endroit moins peuplé, comme ma salle de classe, le cdi ou la salle A ou 206. Si on se fait attraper, je peux dire au revoir à mon bulletin vierge de toute heure de colle.

Parmi les élèves agglutinés dans cette salle, j’aperçois Gabrielle. Elle non plus ne vient pas souvent ici, elle a sûrement dû me voir entrer dans le bâtiment. On se salue rapidement et elle me questionne quant à la personne qui m’accompagne.

− Mais qui est cet individu sacrément mignon qui boit son chocolat chaud ? me questionne-t-elle assez bas pour que Clément ne l’entende pas. Enchantée, je suis Gabrielle mais tu peux m’appeler Gab’s ou Gabi, comme tu le sens.

Elle a avancé sa joue pour lui faire la bise. Il n’a pas reculé et ils se sont salués comme deux français dignes de ce nom. Ensuite Clément s’est présenté à son tour. Je n’y avais jamais fait attention avant mais je crois que mes deux meilleurs amis ne se sont jamais rencontrés. J’aurais dû organiser ça plutôt ! Je suis sûre qu’ils vont bien s’entendre, ils ont tous les deux l’art et la manière de faire en sorte qu’on ne s’ennuie jamais. En tous cas pour l’instant, je ne vois aucune gêne s’installer entre eux alors que ça fait 10 minutes que je n’ai pas ouvert la bouche. Ils se connaissent à peine et je ne peux déjà plus en placer une !

La sonnerie retentit, je dois aller en cours. Nous raccompagnons mon voisin à la sortie du lycée je passe ma carte magnétique devant le scanner afin qu’il puisse sortir. Une fois seules, Gab’s ne peut pas s’empêcher de me poser quelques questions.

− Alors comme ça c’est lui ton meilleur ami ? elle m’asséna un coup de coude complice. Il est pas mal du tout ce « meilleur ami », t’en penses quoi toi ? D’ailleurs, tu peux me filer son compte Instagram, il est super sympa !
− Oui Gab’s, c’est bien mon meilleur ami, il n’y a aucune ambiguïté entre nous deux. J’ai dit ça sur le ton de la lassitude malgré moi.  Tout le monde pense que nous ferions un très beau couple malgré le fait que certaines personnes ne nous ont quasiment, voire jamais vus ensemble, notre forte complicité se remarque tout de suite.

Je sais qu’il ne se passera jamais rien avec Clément, il n’y a pas ce fameux truc qu’on ressent quand on est amoureux ou même attiré par la personne d’en face. Nous en avons déjà parlé, il est du même point de vu que moi : seulement de l’amitié. Même si je dois l’avouer, il y a un lien très fort qui nous lie. Je l’aime énormément.

− Gabrielle, rassure-moi. Ne dis pas aux autres que tu as rencontré Clément dans le foyer, il n’est pas censé être ici, je ne veux pas d’ennuis.
− Motus et bouche cousue, me promet-elle.

Puis nous entrons dans la salle de classe pour affronter notre journée de cours.

                                  *

Ma journée passe rapidement et je suis épuisée. Je sors de deux heures d’EPS, après avoir fait une heure d’UNSS. J’ai des courbatures un peu partout mais ça m’a fait beaucoup de bien de me dépenser. Ce matin, j’avais beaucoup trop d’énergie, on aurait dit une pile électrique. J’étais remontée à bloc, comme si mon passage dans ce parc avec Clément avait rechargé mes batteries plus qu’il n’en fallait. J’avoue que maintenant, je suis à plat et toute transpirante. Je dois faire peur. En plus je n’ai même pas pris la peine de me changer, comme je rentre directement chez moi.

Une fois à la maison, je profite de ma solitude pour aller prendre une douche rapide. En effet, papa et Stan sont encore soit au travail, soit à l’école, ce qui me laisse l’appart’ pour moi toute seule. J’enfile une tenue confortable et me dirige vers la cuisine. Je me sers un grand verre d’eau que je bois d’une traite, j’avais bien soif ! J’ai décidé que j’allais cuisiner un repas pour ce soir. Il y a peu, j’ai retrouvé le livre de recettes de ma grand-mère. Après avoir hésité entre deux plats, je me décide à cuisiner. Je n’ai pas tous les ingrédients demandés alors je fais un aller-retour à la supérette la plus proche.

A l’heure où mon père rentre du travail, le four sonne. Le timing ne pourrait être plus parfait. Je termine la vaisselle pendant que Stan met la table.

Pendant le dîner, on se raconte nos journées et Stan m’apprend qu’il à étudié les gènes et les allèles en cours de SVT.

− C’était super intéressant, on a parlé de l’hétérochromie et la professeure nous a assuré que c’était extrêmement rare. En général, les personnes qui ont les yeux hétérochromes ont des teintes assez rapprochées, jamais à l’extrême opposé comme les tiens.

− Oui, je me doutais bien que mes yeux étaient spéciaux. On s’en rend bien compte rien qu’avec les tâches dans mes iris. Qui a déjà vu un œil bleu avec des stries noires et le contour de cet iris orange ? Je pense que je suis la seule au monde à disposer de tels yeux. Lui ai-je répondu.

− Mais en tous cas, tu es la personne avec les yeux les plus incroyables que j’ai vus de ma vie, m’assure mon père. Tes yeux sont magnifiques, n’en n’aies jamais honte Capucine.

− Oui mais en attendant, les enfants ont peur de moi quand ils me voient. Malgré ça, je ne veux échanger mes yeux pour rien au monde. Et puis de toute manière, ce n’est pas possible, ai-je répondu un peu indifférente mais fière de cet « héritage » qui est le mien.

La fin du repas s’est déroulée tranquillement et comme j’avais préparé le repas, j’ai été dispensée de débarrasser la table. Je me suis rendue compte que je n’avais pas parlé du fait que je soie complètement folle auprès de mes meilleurs amis quand j’en avais l’occasion. J’ai tout simplement oublié. De toutes manière, ils m’auraient assuré que ce n’était que de l’électricité statique. Comme je disais, pas besoin de s’inquiéter.

Ce n'est pas la bonne couleurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant