Chapitre 6

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C'est dans un piteux état que je retrouve mon père. Nous nous sommes croisés au bout d'une rue, lui dans notre vieille voiture et moi sur le trottoir de la ville. Il s'arrête devant mes yeux. J'hésite une seconde à rentrer dans l'habitacle, mais la perspective de marcher des kilomètres supplémentaires me déplaît davantage. J'ouvre la portière avant de m'installer sur le siège avant. Je sème de la boue, mélangée à quelques gouttes de sang, sur les protections de l'assise. Le trajet se fait dans le silence le plus total, seul le crissement des pneus résonne entre nous. La colère de mon père est palpable. Je ne pense pas l'avoir déjà vu aussi énervé, encore moins après moi.

Notre maison décrépit se dresse devant nous. Nous entrons à l'intérieur. J'ai à peine le temps de fermer la porte, que mon père commence ses reproches.

— Je crois que tu dépasses un peu trop les bornes ces temps-ci.

Je l'observe s'appuyer contre la table de notre cuisine. Je ne réponds rien, je baisse simplement les yeux sur ses chaussures.

— Regarde-toi, reprend-il. Tu es couverte de terre. Tu as même des blessures ! Tu es insolente avec toutes les personnes de ton école, tu te permets des regards noirs, des remarques et des insultes dès que tu en as envie.

— Tu sais seulement ce que le proviseur te raconte. Batiste m'a provoqué toute la journée, et je me suis retenue comme je pouvais !

Je monte légèrement le ton. Ce n'est pas bon signe, bientôt la maison deviendra un champ de bataille remplis de cris.

— Si tu ne te croyais pas aussi maligne, rien de tout ça ne serait arrivé. Je ne peux pas te laisser continuer Élise, et je vais devoir devenir plus strict. Je t'ai donné le droit d'agir indépendamment mais tu me rends la tâche plus que difficile !

Je réprime un rire amer. Son absence à mes côtés me fait souffrir quotidiennement. Jamais il n'a fait son devoir de père, non pas par envie, mais par désinvolture.

— Tu ne pourras plus aller à l'association, au moins cette semaine, déclare-t-il d'une voix calme.

— Quoi ?

Je sens la colère grandir une nouvelle fois au creux de mon ventre. Je ne m'imaginais pas qu'un corps pouvait accumuler autant d'émotions. J'ai l'impression qu'il n'y a plus de limite et que le point culminant n'existe plus.

— C'est la seule chose que j'ai ici.

— Justement. Tu donnes une mauvaise image de ta mère et...

— Je t'interdis de parler d'elle !

Je m'emporte tel une tempête ravageuse.

— Elle n'est plus là, papa. C'est terminé ! Elle est partie, elle nous a abandonnés ! Je m'en fiche complètement de ce qu'elle peut ressentir ou de quoi elle a l'air aux yeux des autres.

Sur ses mots, je rejoins en vitesse ma chambre. Je claque si fort la porte que les murs en viendraient presque à s'effriter. Je me déshabille ensuite pour prendre une douche. L'eau qui coule ne m'aide pas. Elle me brûle chaque partie de la peau tellement la température est élevée. Elle ravive d'autant plus la douleur lorsqu'elle effleure mes plaies ouvertes. La terre et le sang séché disparaissent peu à peu, mais la colère persiste. Elle est ancrée à mon âme et n'a pas l'air de vouloir s'apaiser.

Une fois terminé, je me place nue face au miroir. Je plonge mes iris gris dans celles de mon propre reflet. La fille que je vois à travers me paraît complètement vide. Elle a l'air épuisée, comme si elle s'est acharnée trop dur pendant des années. Tout me semble fade chez elle, bien que la beauté est subjective. Ses épaules sont recouvertes de bleus, comme je m'en doutais. La seule autre couleur vive réside sur son visage. Ses blessures, qui ornent sa peau bronzée, sont l'exactitude même de ce qui se passe à l'intérieur. Peut-être les avait-elle réellement méritées ? Ou peut-être qu'elle voulait ressentir une autre sorte douleur ?

Les notes vagabondesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant