Exister dans les courbes d'un tableau

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« Être, ou ne pas être : telle est la question. Y a-t-il pour l'âme plus de noblesse à endurer les coups et les revers d'une injurieuse fortune, ou à s'armer contre elle pour mettre frein à une marée de douleurs ? »

Hamlet, William Shakespeare


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Les couleurs jaillissaient de toutes parts. Elles affluaient dans ma rétine, couvrant délicieusement mon regard de variations, de tons plus doux et d'autres plus pétillants.

Ces couleurs, toutes réunies pour former un paysage de nature époustouflant, me faisaient quelque chose dans la poitrine.

Je me souviens avoir ressenti un apaisement au cœur tandis que j'ouvrais grand les yeux, m'imprégnant de ce paysage qui m'était à la fois familier et étranger. Une chaleur étouffante s'agrippa à ma peau tandis que je descendais de la voiture qui nous avait conduit devant la porte bleu écaillée de l'auberge.

Ma mère était une femme très fatiguée par son travail qui chérissait ses vacances comme la prunelle de ses yeux. Ce fut la première à sortir de la voiture pour fumer, nous disant qu'elle était contente d'être arrivée au gîte de Nana.

Sa grande robe blanche flotta un instant autour de ses mollets avant de se déposer d'un geste élégant sur ses chevilles. Ses cheveux noirs encadraient son visage en l'affinant plus qu'il ne l'était déjà tandis que ses yeux d'une couleur brune reflétaient le calme des jours paisibles.

Ma petite sœur s'étala sur mes cuisses en riant aux éclats. Je lui souris. Elle m'apportait une fraîcheur candide pourtant pleine d'intelligence. Ses deux couettes renforçaient l'air juvénile qu'elle tentait de cacher avec son gloss à paillettes.

– Jungkook tu me bloques le passage ! grogna-t-elle.

Je lui répondis avec mon grommellement le plus guttural possible. Lors de ces vacances d'été, j'étais victime d'un profond ennui.

Je soupirai un bon coup, soulagé d'être arrivé. Je venais de terminer ma deuxième année de première, un redoublement pour manque d'investissement, qui m'avait profondément fatigué. Je ne parvenais pas encore à discerner ce qui m'intéressait dans la vie, cherchant à mettre du sens dans tous ces efforts pour l'école.    

Je contemplai mon reflet dans la vitre de la voiture d'un air détaché. Ma peau très claire contrastait avec les mèches de cheveux brunes qui tombaient en désordre sur mon front. Mes yeux noirs étaient sans expression : ni heureux, ni malheureux.

– Jungkook ! Sors de la voiture, tu bloques Haneul.

J'abdiquai en ouvrant la portière brûlante et dépliai mes longues jambes pour être étouffé par la chaleur moite de ce mois de juillet. Elle me prit à la gorge d'une manière presque rassurante ; elle accompagnait mon sentiment de flottement.

Je ne parvenais pas à m'ancrer dans le temps, je laissais chaque seconde s'écouler lentement, au compte-goutte.

Chaque juillet, nous venions à la même date dans ce gîte ou « guest house » comme aimait beaucoup l'appeler ma mère de son mauvais accent en anglais. J'avoue qu'à l'époque j'adorais tous les gens qui tenaient la maison. Nana, la gérante en chef, était presque aussi proche de moi que ma grand-mère. Son caractère incroyable résonnait dans toute la maison malgré ses traits tirés par la soixantaine.

Mais ce que je savourais par-dessus tout, c'était le jardin fleurissant qui éclatait en de multiple couleurs et régalait mes petits yeux de peintre amateur. C'était devenu presque comme une coutume pour moi, je m'amusais à le peindre chaque année, pouvant ainsi mesurer mes changements de technique au fil des années.

Perle céruléenne [taekook]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant