Emery
J'ai eu du mal à sortir les pieds du lit. Mon corps, ma tête, tout mon être me criait d'y rester, de me lover dans la douceur du coton et de ne plus jamais en bouger. Malheureusement, au bout de la troisième sonnerie du réveil, il a bien fallu que je m'y résolve.
Aujourd'hui, j'ai de nombreuses choses à faire. Une petite entreprise d'événementiel m'a commandé tout un assortiment de mignardises pour une conférence en plein air, et je dois les livrer demain, à dix heures, dernier délai.
L'idéal serait que tout soit terminé pour ce soir, mais je ne me fais pas d'illusion, vu la charge de travail que j'ai à réaliser, je vais y passer une bonne partie de la journée voire de la nuit.
Encombrée d'un énorme paquet de farine et de mon sac à main, si gros qu'il pourrait contenir la Terre entière, je peine à ouvrir la porte du magasin. J'en franchis le seuil, et d'un coup de fesses, la referme bruyamment. N'en pouvant plus, je lâche in extremis mon chargement sur une des tables, laissant un petit nuage blanc s'échapper du papier et s'envoler avant de se déposer en de fines traces sur le bois, semblables à de la poussière.
Je repousse une mèche de cheveux et soupire, déjà épuisée par ce qui m'attend. Sur le chemin de l'arrière-boutique, je remets quelques chaises en place, longe le couloir et me retrouve dans la cuisine immaculée. Toutefois, elle ne le restera pas bien longtemps. Dans quelques heures, elle sera sens dessus dessous, pleine d'un bazar pourtant savamment orchestré, tel une symphonie de Mozart. Je déteste travailler dans le désordre et la pâtisserie étant une science très précise, l'organisation est primordiale. Quelques grammes de trop ou de moins et vous pouvez vous retrouver avec un soufflé aussi plat et dur que la semelle d'une chaussure. Je crois que c'est ce qui me plaît. Tout est écrit, explicité, sous contrôle. Hormis pour les décors où je m'autorise quelques fantaisies, il n'y a pas de place pour le laisser-aller et l'imagination. Pourtant, suivre une recette à la lettre n'est pas si simple, cela demande beaucoup de concentration et un bon tour de main.
Certains diront que je suis douée, que j'étais faite pour ce métier, mais en réalité, il n'en est rien. C'est Julian qui m'a tout appris, avant de changer radicalement d'orientation. Petit à petit, et malgré moi, il s'est totalement désintéressé de notre activité qui lui tenait pourtant à cœur auparavant. Au fil des jours, je l'ai vu se métamorphoser de manière incompréhensible, ne vivant et ne jurant que par l'armée, et nous délaissant, le commerce et moi.
Fouet en main, je m'attelle à préparer ma crème pâtissière au chocolat pour garnir les boudins de pâte à choux que j'ai déjà réalisés hier. Faire bouillir du lait et une gousse de vanille dans une grosse casserole, mélanger les œufs et le sucre dans un cul-de-poule, ajouter la farine, tout se fait naturellement sans que j'aie besoin de faire fonctionner mes méninges. Verser le lait chaud, faire épaissir la crème, la passer au batteur électrique et y ajouter le chocolat fondu. J'agis comme un automate, mon cerveau guidant mes mouvements.
Une fois mes éclairs fourrés et glacés sur le dessus, je les réserve quelques instants à température ambiante puis me lance dans la confection d'une pâte sablée pour mes tartelettes à la framboise. Cependant, je remarque que je n'ai plus de farine dans mes bocaux. Je cherche le paquet des yeux, avant de me rappeler que je l'ai laissé dans la salle principale.
Sur le chemin, je me morigène intérieurement pour ces quelques minutes perdues. Arrivée dans la salle, je repère l'objet, le soulève, et les dix kilos du sac me font penser qu'il faudrait bien que je retourne à la salle de sport, que j'ai largement négligée ces dernières semaines. Ou peut-être est-ce ces derniers mois, je ne me souviens plus très bien...
Les bras chargés, je me dirige de nouveau vers le lieu de préparation, quand un bruit derrière moi retient mon attention. Je me retourne vivement et, de stupéfaction, fais tomber toute ma cargaison, qui m'écrase lourdement les orteils. Elle se rompt en touchant terre et déverse au passage un tas de poudre albâtre.
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All the things we lost Tome 1 [SOUS CONTRAT D'EDITION]
RomanceLe feu et la glace peuvent-ils s'unir ? Emery, pâtissière de renom, peine à se reconstruire suite au décès brutal de son mari Julian lors d'une opération militaire. Elle qui croyait à l'amour avec un grand A, se retranche désormais derrière son chag...