...comment est-ce arrivé déjà ?
Il ne sait plus.
Il y a eu l'après-midi interminable dans la bibliothèque, sa jambe blessée allongée sur un repose-pied, l'agacement né de l'inertie grouillant sous sa peau comme une cohorte de fourmis. De l'autre côté de la pièce, Ophélie se traînait le long des rayonnages, la mine pensive, lui jetant des coups d'œil de temps à autre entre ses cheveux.
Le dîner : entrée, plat, dessert. Presque tout goûtait la cendre dans sa bouche, la faute à ses papilles gustatives abimées par le poison. Ophélie était assise face à lui, silencieuse derrière ses verres de lunettes bleuis. Avec un art consommé, sa tante faisait la conversation pour quatre en s'irritant de temps à autre :
- J'ai l'impression de radoter. Personne ne veut faire un effort ?
- Vous faites cela très bien ma chère, la soutenait discrètement la tante Roseline en jetant des regards circonspects à sa nièce.
Elle a jailli du miroir de sa chambre, une fois le dîner terminé.
Une conversation laborieuse.
- Vous m'évitez ?
...qui a posé cette question ? Qui a évité qui ? Il lui semble que cette affirmation était juste dans leur bouche à tous deux.
- Nous avons passé l'après-midi dans la même pièce.
- Vous savez bien ce que je veux dire.
Il y a à présent les petits boutons de sa robe grise, en rang serré le long de sa colonne vertébrale. Il les fait sauter un à un hors de leur capsule, avec une rigueur presque martiale, jusqu'en bas des reins. La robe ouverte dans son dos laisse apparaître les ailes nues de ses omoplates, avant de s'ouvrir en corolle, laissant échapper la peau rose de ses bras.
Les jupons s'étalent en bas de ses jambes comme une fleur blanche. Les lacets ajustés du corsage se desserrent tous seul sous ses doigts ; son animisme empressé la déshabille plus vite que lui.
- Si nous ne nous évitons pas, ce n'est donc pas un inconvénient que je sois ici dans votre chambre ? avait-elle badiné à mi-voix derrière le verre empourpré de ses lunettes.
- J'y verrais un inconvénient, dans l'éventualité où vous venez juste pour discuter... Autant descendre au salon.
- Je vous aurai retenu au salon, si j'avais simplement envie de discuter.
Debout devant lui, elle le contemple de ses pupilles écarquillées ; elle n'est plus qu'en cheveux, en chemise longue et bas de soie. Assis sur le lit, le souffle court, il la serre contre lui comme s'il souhaitait l'absorber dans son propre corps. Elle s'abandonne à son étreinte avec une confiance qui lui sert péniblement la gorge.
Entre les draps, alors qu'il la dépouille de sa chemise, il ralentit, pour mieux ancrer précieusement chaque information dans ses cellules grises ; les arrondis veloutés de son corps, les attaches délicates de ses poignets, de ses chevilles ; l'odeur au creux de son cou, les nombreux grains de beauté semés sur sa peau, la circonférence de sa taille, dont il pourrait faire le tour des deux mains...
Il n'a jamais autant regretté d'avoir perdu le goût ; peut-être est-ce mieux, la tentation est moindre de la dévorer toute entière.
Il pourrait rester ainsi des heures, à la respirer, la parcourir...
Peut-être cela dure-t-il des heures, car il se retrouve dépouillé jusqu'à l'os – au sens propre. Elle inspecte elle aussi chaque centimètre carré de peau et il se livre à sa curiosité en combattant durement sa pudeur.
Pourquoi rien de ce qu'elle voit en lui ne la fait reculer ? Elle le regarde tout entier avec des yeux brumeux, un air de soif presque douloureux. Elle embrasse sa peau couturée, les traits tendus, les mains tremblantes.
Thorn sent sa mâchoire frissonner, ses dents claquer légèrement, sa peau se couvrir de chair de poule. Son épiderme est bien plus habitué à la douleur crue des griffes qu'aux caresses ; il est bien plus ému qu'il ne veut se l'avouer.
Lorsqu'elle attire timidement sa main entre ses jambes, il s'applique un long moment, sans la quitter des yeux.
Couchée dans ses bras, elle gémit, gronde, tremble.
Un rire convulsif lui échappe après coup.
Il la regarde intensément, débarbouille sa joue couverte de cheveux d'un pouce précautionneux.
- Pourquoi ris-tu ? questionne-t-il, sincèrement intéressé.
Elle reprend plusieurs fois sa respiration avant de souffler :
- Je ne sais pas... Parce que c'est bon ?
Voilà une nouvelle information qu'il archive avec soin, avant de glisser à nouveau ses lèvres sur les siennes... et de reprendre, doucement, délicatement, désireux de l'entendre encore, de la regarder encore.

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Axial
FanfictionEt si Thorn n'avait jamais franchi les murs réfléchissants de sa prison ? [Fin alternative, tome 2. Courtes vignettes autour de ce que l'histoire aurait pu être.]