Chapitre 1

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« Boucle-la, Leïla ! Ne vois-tu pas que la fatigue me ronge ? Je m’efforce de travailler jour et nuit pour subvenir à nos besoins. Boucle-la ! Laisses-moi me reposer Leïla. Tu m’écorches les tympans avec ton horrible voix. S'il te plaît, arrête ! Arrête de m'importuner ! ». Voilà les propos saillants que Leïla se repassait en boucle dans la tête.
  L'horloge sonnait 18 heures, le noir envahissait timidement les toits, la lune se préparait à resplendir sur la ville de sa magnifique lumière. Le vent quant à lui ne songeait qu'à rôder partout de bout en bout jusqu'à pénétrer les confins les plus secrets de la ville.  Ce soir-là, il ne pouvait pénétrer dans la loge de Leïla qu'à travers le climatiseur bloqué sur trente en raison de l'hiver qui sévit sur les côtes asiatiques. Trente ! Trente est le nombre d'années que la jeune brune aux cheveux noirs venait de célébrer le mois dernier.
  Seul le ronronnement discret et lointain du moteur de l'appareil occupait la pièce. Une pièce décorée à la chinoise par la célèbre artiste et décoratrice tibétaine Huwai ni Chang. Des idéogrammes mandarins, des sculptures du premier empire chinois, des tapis multicolores et des lampes rouges en forme de boule enjolivaient la pièce. Leïla assise sur un tabouret, mouvait lentement un verre givré de scotch on the rock à moitié plein, les yeux figés sur son reflet. Le miroir rectangulaire, couronné d'ampoules led à petit culot-vis de 5 watts, reflétait un visage pâle, songeur et ahuri, résultat d’années de misères.
  La voix rapporta une seconde fois dans un écho néantique les mêmes paroles de sa mère. Soudain, son cœur s'est mis à palpiter et son esprit voulut s'échapper à tous prix de l'enfer de son corps prisonnier du passé. Elle cloua voluptueusement les yeux comme si elle fuyait une réalité que seul son reflet lui rappelait.
  Brusquement, deux rangs de larmes commencèrent à caresser doucereusement ses pommettes. Elle laissait couler toutes les tristesses qu'elle voulut laisser derrière elle depuis la nuit des temps. Elle ingurgita d'un seul coup le verre de tafia américain glacé et essuya ses larmes avec le creux de sa paume droite, une légère grimace, un assoupissement béat accompagnait son mouvement pour laisser échapper la saveur piquante de l'alcool.
Elle déposa dédaigneusement le verre vide sur la table. Des gouttelettes de larmes coincées dans ses grands yeux marron attristaient son visage angélique. Leïla se mit à caresser ses longs cheveux soyeux et lisses avec la lenteur d'une tortue cryptodire tout en se remémorant la déclaration de sa mère dans son excès de colère ! Dommage ! Leïla a dû voir midi à sa porte dès son plus jeune âge c'est pourquoi elle s'est recroquevillée sur elle-même depuis ce jour du 15 mai 1990. Leïla se souvint de ses années ramollies psychologiquement par la tristesse, l'amertume, l'angoisse et la peur. Elle se souvint de toutes les heures passées seule dans un coin de la cafétéria de l'école, de toutes les énergies qu'elle a dépensées en essayant de se tenir à l'écart de toutes relations interhumaines. À neuf ans, sa mère ou plutôt sa Margareth adorée dans un excès de colère gratuite a dû briser sa confiance-en-soi. Pour obéir à maman et être sage, elle a choisi de se cloîtrer, de se faire petite. Au fil du temps, cette obéissance aveugle, cette habitude qui aurait dû être partielle est devenu permanente, cela s'est transformée irrémédiablement en seconde nature.

LéïlaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant